Pour Claude Geffré, en témoignage d'amitié et de profonde estime

 

Aspects du problème de l’immigration

Il arrive à certains d’éprouver la crainte d’une dissolution de nos identités culturelles particulières dans un universel humain qui mettrait tout le monde au pas. Les réactions provincialistes de défense linguistique, culturelle, économique, sont menées contre ce courant d’homogénéisation internationale qui semble menacer l’identité provinciale. Le problème n’est pas, dans son principe, celui de la quantité d’immigrants. Le problème est celui du maintien de la force de la culture et de la civilisation françaises.

En faveur de l’immigration
La culture française est une culture de caractère laïque. C’est un des caractères les plus originaux de la France et la condition sine qua non de l’intégration de l’étranger. C’est grâce à elle que la religion des immigrés cesse d’être un obstacle; cela a été le fait des juifs et des musulmans des précédentes générations qui, comme les catholiques, ont pu garder à titre privé leur foi religieuse.
La culture laïque seule est capable d’intégrer politiquement et intellectuellement les diversités ethniques. Mais la laïcité n’est pas uniformisation culturelle et nous devons abandonner ce jacobinisme-là à la régénération de la laïcité.

La pluralité comme caractéristique de notre société moderne
L’espace que nous occupons aujourd’hui, qu’il s’agisse d’un bourg ou d’une ville, se caractérisait jadis par une homogénéité, culturelle, morale, comportementale, religieuse, et bien sûr linguistique. La disparition de cette homogénéité est un trait constitutif de notre “modernité”. La société “moderne”, multiforme, pluriculturelle, comporte une pluralité d’options fondamentales, concernant le sens à donner à l’existence, au monde, qui voudraient orienter les rapports entre les hommes et les rapports de ces hommes aux modes multiples de production. C’est la caractéristique de la société moderne, qui la distingue de la société traditionnelle.
Aujourd’hui, le consensus n’est pas de mise. Pourtant, dans cette société multiforme l’horizon de convergence subsiste. Il est l’une des facettes signifiantes du prisme des corps sociaux, précisément des cultures par lesquelles l’homme advient, pour remplacer la violence qu’il subit par un projet commun de transformation du monde. C’est dans la société moderne que nous nous exerçons à l’apprentissage d’un consensus social. Celui-ci s’inscrit dans l’agir. Il nous arrive de fuir la tâche d’un trop exigeant chantier. Il nous arrive aussi d’en être exclus.
La nouveauté du rapport au monde imprimée par cette modernité nous menace sur ses bords. Deux perversions des consensus font croire à la construction et conduisent pourtant à la débâcle:
- le souci de s’accorder, coûte que coûte, de se fondre dans l’unanimisme, le syncrétisme, et vivre dans la confusion des constructeurs de la tour de Babel;
- le renoncement une fois pour toutes à la possibilité de s’entendre, refuser la langue de l’étranger, engendrer le relativisme, élargir le creuset du sectarisme jusqu’à l’intégrisme, et se disperser à la manière des constructeurs de la tour de Babel.

 Aucune des deux attitudes ne répond aux exigences de l’être-ensemble.

 Il semble qu’on ne sache pas comment opérer la symbiose entre unité et diversité.

 

Nécessité de situer le problème dans son contexte européen
Quand on a voulu déloger les occupants de l’église Saint-Bernard, on a invoqué la loi. C’était pour justifier quoi? Des coups de haches dans le portail d’une église? Il arrive que les lois de la République s’opposent aux principes de sa constitution qui s’imposent pourtant aux lois qui émanent d’elle.

Est-ce un argument d’être moins pires que les autres pays européens plus répressifs que la France? Et est-ce un alibi de dire que la France est engagée à l’égard des pays les plus pauvres? Plutôt que d’imiter les pays oublieux de la Convention européenne des Droits de l’homme qu’ils ont signée, notre rôle n’est-il pas de rappeler cette Convention? A quoi sert-il de signer des accords si nous les oublions?

L’immigration et l’intégration sortent du champ hexagonal. La société française, qui n’a de chances de se concevoir en vérité que comme une facette du prisme européen, n’a pas le monopole de ce problème. La pluralité ethnique, culturelle, la pluralité religieuse qui stimule la réflexion sur la laïcité, tout cela caractérise l’Europe, cette Europe rayonnante de ses cultures nourries de ses sources gréco-romaines, juives, abbassides, mêlées aux fonds culturels celtes, slaves ou germaniques, cette Europe qui s’est fait berceau de la modernité, cette Europe doit tenir compte de tout cela qui participe au fonds culturel commun.

C’est dans ce cadre européen que ces problèmes doivent être repensés, selon les principes de la République et de l’Union européenne, dans le souci d’accorder la priorité à l’humanité sur la rigueur législative aveugle de l’internationalisation en marche.

 

 

G.L., le 1er mars 2008