Pour Edwige, ma fille, que j’embrasse

   La pensée s’enrichit de la critique qui, loin de la « discute », stimule la réflexion. Les polémistes, qui prolifèrent en ces temps de campagne électorale, sont-ils responsables des interprétations de leurs propos ?

S’attacher à la conversation  du seul point de vue sémantique n’est pas suffisant. En arrière plan des mots se profile une signification. Sans cela on en reste à la discut’ qui n’a pas d’issue.

Pour qu’un dialogue soit constructif, il convient de faire progresser la connaissance dans une forme de respect mutuel des personnes et des idées, lesquelles lient la question de la connaissance à notre condition d’être humain autour d’une réalité partagée. Tout cela implique l’humilité, la coopération, la reconnaissance du pluralisme…, sachant que les métaphores conceptuelles nous suggèrent de considérer la conversation d’un point de vue compétitif. De sorte que la discussion connote plutôt la guerre, alors que le dialogue implique la subordination à une vérité indépendante de soi.

La capacité à s’interroger sur ses propres processus de pensée en éducation, une mise à distance avec nos propres représentations – et notre rapport à ces représentations – est constitutif d’une forme de “pensée critique”. La place du dialogue s’inscrit dans la pratique philosophique et le développement de la pensée critique.

Face aux mauvais arguments, difficile de reconnaître que « tout est vrai », mais… dans une certaine mesure ? Dans la tête du paranoïaque, les poules ont des dents. N’est-ce pas, par exemple, le dessin que le paranoïaque aimait offrir à sa mère ? Dans son monde, cela est vrai. Le fait est que ce n’est vraisemblablement vrai que dans son monde, selon son point de vue. Ceci nous invite à tâcher de comprendre « le monde de l’autre » : dans quelle mesure ce que l’autre me dit, y compris ce qu’il me dit de faux, donne-t-il à voir du vrai ?

Pour contrer les discours faux et haineux, il est nécessaire de s’engager vers une forme de compréhension – qui n’implique pas de partager les idées de l’autre, ce qui constitue une posture qui admet l’indiscutabilité qui y est liée.

Difficile de faire société dans un monde médiatisé, encombré d’informations, d’émotions, de désaccords, comment développer des attitudes critiques et respectueuses ? Ces ancrages théoriques —fondamentaux— contiennent des pistes d’application pratique. Comment fait-on, concrètement, pour appliquer tout cela ? Comment dialoguer – ou penser – de manière constructive, en pratique ?

Le premier stade qui m’apparaît s’imposer reprend l’esprit de la maïeutique de Socrate, à savoir le questionnement, ou, pour le dire comme Platon, amorcer « l’art d’accoucher les esprits ». « Que veux-tu dire ? » « Qu’est-ce que ça signifie ? » « Qu’est-ce qui te fait croire ce que tu crois ? ».

Socrate veut-il vraiment approfondir les idées ? Ou n’est-il pas simplement un emmerdeur qui n’a rien à envier aux sophistes et leur révéler leur tort ? Socrate était sans doute le plus humble des hommes cherchant à comprendre les fondements de ce que l’autre affirme. Ainsi, il s’agit d’amener l’interlocuteur à expliquer son opinion, sa perspective : qu’est-ce que cela veut dire, pour toi ? Comment comprends-tu cela ? Il s’agit de faire la clarté également sur ses référentiels, ses présupposés, ses postulats. « Dans quelle mesure ce que tu me dis a-t-il du sens ? », « dans quelle mesure ce que tu affirmes est-il vrai ? ».

Telles me semblent être les postures positives pour un dialogue fructueux.

 

Gérard Leroy, le 1 octobre 2021