Pour Alain Péréa, avec mon respectueux dévouement

   Si je suis intéressé de manière croissante par la géopolitique, convaincu que les rapports de forces, entre le Moyen-Orient, Israël, la Chine, la Russie, la Turquie, l’Europe et les États-Unis sont déterminants sur l’avenir du monde, j’éprouve en revanche un véritable désintérêt pour la politique intérieure nationale.

J’ai lu ce matin avec une louable attention le courrier déposé dans ma boîte à lettres. J’ai parcouru le raz de marée de prophéties alarmantes, les promesses rutilantes, l’espérance vengeresse. La campagne se veut tonitruante, ultra ou anti réformiste, révolutionnaire, éruptive. On nous promet la lune en l’entourant d’un halo rageur. Et le lecteur en vient à douter de la capacité des candidats d’assumer, d’incarner, de gouverner autrement que derrière des persiennes.

Je perçois la politique de notre pays comme une lutte féroce de pouvoirs, un art de l’intrigue, cultivé par une a-moralité, voire une immoralité, machiavélique, en ce que Machiavel qui n’échappe à aucun étudiant de sciences politiques, défend un principe : la fin justifie les moyens. Exit l’éthique ! On a oublié que c’est par l’éthique que chacun devient soi, et digne de ce que l’humanité attend de l’humain.

En France, les réflexions politiques sont rares, et rarement généreuses, indifférentes au monde à venir. La politique vole à vue. Peu à peu notre société se débrouille comme elle peut, ce qui a pour effet de renforcer l’individualisme et la dé-responsabilisation. Notre société est encadrée par des anonymes cybernétiques, de sorte que le lien est coupé entre ceux qui s’identifient comme des chefs et ceux qui dépendent de leurs décisions arbitraires. Les prises de contact avec les responsables de la DDE, la présidente d’Orange, le Préfet, SFR, les VNF ou le Conseil départemental vous renvoient à un autre, quand par extraordinaire le signataire, anonyme, daigne répondre.

Cette situation n’est pas d’aujourd’hui. De retour d’Amérique en 1845, Tocqueville écrivait dans sont rapport De la démocratie en Amérique que le gouvernement américain étendait ses bras sur la société tout entière, la couvrant de lois, de petites règles, minutieuses, les unes plus compliquées que les autres, devant lesquelles « les esprits les plus vifs et les âmes les plus vigoureuses sont étouffées » .

J’attends en vain de la politique qu’elle ne soit ni une technologie du pouvoir et une manipulation de celui-ci, ni une organisation de l’humanité par des moyens cybernétiques dont l’usage est réservé, ni un art de l’utilité, de l’artifice et de l’intrigue. La politique telle que je la comprends est une manière de chercher et d’acquérir un sens collectif, une des manières de protéger et de servir ce sens, en vue du bien commun. L'élément tragique pour l'homme moderne, ce n'est pas qu'il ignore le sens de sa vie, c'est que cela le dérange de moins en moins. J’attends d’une politique qu’elle réhabilite la place de l’homme au centre de ses préoccupations, qu’elle soit comme morale agissante, comme service de la vérité, comme souci du prochain, souci essentiellement réglé par des critères humains.

« La sauvegarde de notre monde humain n'est nulle part ailleurs que dans le cœur humain, la pensée humaine, la responsabilité humaine. » écrivait Vaclav Havel. Retenons encore l’adage de Protagoras qui écrivait, cinq cents ans avant notre ère : « l’homme est la mesure de toutes choses ». C’est en ce sens que son ami Périclès inventa la démocratie, en la faisant reposer sur trois principes : l’égalité de tous devant la loi ; la participation de tous au fonctionnement et à la gestion de la cité ; la liberté d’opinion pour tous. Voilà ce que rassemblent nos sacro-saintes « valeurs » républicaines ou démocratiques, termes galvaudés qui nous dispensent de secouer notre mollesse intellectuelle pour réfléchir à ses composantes.

Notre société a développé l’individualisme dont Lévinas rendra Kant responsable, et dont l’Occident hérite, pour avoir parlé « d’absolu de la liberté ». Emmanuel Lévinas a judicieusement dénoncé cette conception de la liberté « absolue », donnant à son œuvre de faire advenir une éthique basée sur le primat de la justice sur la liberté. Il ne s’agit pas de nier la liberté mais de la subordonner. C’est ainsi que les chrétiens envisagent la liberté, comme pouvoir de mettre leur talent au service d’autrui, autrui qui nous met en demeure de répondre à la question : « Qu’as-tu fait de ton frère ? ».

Au lieu de cela

On se heurte à des plans de carrière sans intérêt, sauf pour les amateurs de mythologies républicaines et de télé-réalité. Notre société occidentale ressemble à une jungle sauvage, ramollie par la culture du bien être, de la consommation et de la jouissance, et gagnée par la paresse intellectuelle et l’indigence culturelle.

Dans ce maelstrom chacun s’en sort tant bien que mal avec ses petites mains, se contente en s’avouant : « mon petit, sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ».

Je m’en vais confier cela à mes élus

Gérard Leroy, le 25 juin 2021