Pour Bruno et Bertrand, en hommage affectueux

 

   L’oppression ne sera pas le destin définitif des hommes : le Dieu sauveur, qui a ressuscité son Fils, transformera la réalité du mal et de la mort en une réalité plus humaine. Tel est le point de départ de la théologie de Claude Geffré partant de la résurrection du Christ et de la force transformatrice de Dieu qui opère dans l’histoire. Une espérance eschatologique doit conduire l’Église à favoriser les révolutions qui portent une anticipation eschatologique et un monde nouveau. La résurrection anticipe le futur promis par Dieu et dénonce toute limite de la vie sociale, pour lier ainsi ensemble et la foi et la praxis chrétiennes.

C. Geffré montre que cette espérance veut surmonter l’absurdité issue des deux guerres mondiales, qui a mis en question le sens de l’histoire et a voué à l’échec toute tentative philosophique de trouver un sens global à l’histoire. De là vient la limitation de l’approche philosophico-théologique à l’analyse de l’historicité de Heidegger et Bultmann. L’herméneutique existentiale centrée sur l’historicité de l’homme est insuffisante et, Geffré insiste, doit se prolonger par l’interprétation eschatologique comme l’unique interprétation adéquate au sens de l’histoire, en raison de son ouverture vers l’avenir et de son objectif de transformer l’histoire. 

Ainsi la théologie de la libération est-elle un prolongement de la théologie de l’histoire. La libération à laquelle appelle le christianisme concerne le péché et les aliénations de la dignité humaine. (Le péché personnel engendrant la rupture avec Dieu et le péché collectif produisant le malheur de l’humanité). La situation présente pose des questions sur la validité du discours théologique. Comment parler de Dieu après Auschwitz ? Comment concilier le Dieu de l’amour agissant dans l’histoire avec un tel excès de mal ?

Nous sommes invités à une ré-interprétation du mystère du salut en fonction du questionnement humain du monde contemporain. En donnant la priorité aux ruptures plutôt qu’à la continuité, aux différences plutôt qu’aux ressemblances, à l’altérité plutôt qu’à l’identité. C’est ainsi, conclut Claude Geffré, que la théologie politique veut conduire à une transformation du monde selon l’idéal du Royaume de Dieu. L’interprétation du texte ouvre une nouvelle possibilité d’existence dans un monde nouveau. « Le comprendre herméneutique débouche donc sur une pratique sociale et une pratique politique »  (C. Geffré, Le Christianisme au risque de l’interprétation, Cerf).

La transmission de la tradition dans la théologie herméneutique tient compte des pratiques sociales dans le monde et dans l’Église.

Geffré fait l’éloge d’une théologie qui rompt radicalement avec la séparation métaphysique entre « l’ici-bas et l’au-delà » et dépasse l’objectivisme et l’existentialisme théologiques. Il s’agit d’une recherche d’un discours sur Dieu qui implique un discours sur l’homme et le monde. Il y a un rapprochement entre la théologie de la réalité de D. Bonhoeffer et la théologie de l’histoire de W. Pannenberg dans leur attachement à l’Ancien Testament, leur admiration pour Hegel, et leur passion pour le réel du monde et de l’histoire, de l’histoire comme lieu de la présence de Dieu. 

Il y a à dépasser une théologie autoritaire de la révélation, dans un temps où l’homme refuse une autorité extérieure qui garantirait la crédibilité du christianisme. En somme, une théologie de la réalité doit interpréter l’homme et le monde à partir de Jésus-Christ et faire en sorte que la réalité de Dieu se découvre comme la réalité de l’homme. Il doit y avoir une prise au sérieux du contexte social. La théorie et la pratique sont liées intimement l’une à l’autre, de sorte que la théologie comme herméneutique de la Parole de Dieu ne peut se détacher de la pratique chrétienne aujourd’hui. Ce faisant on est renvoyé à la théologie de la libération, qui invite à regarder les opprimés pour attester que le Royaume de Dieu est un royaume de justice que l’on expérimente par le processus de libération.

La théologie politique et la théologie de la libération sont en phase avec la souffrance et l’oppression, en posant la question de l’homme délesté de dignité humaine, à qui elle parle de Dieu comme Père. Cette expérience de libération procure une rencontre avec la personne du Christ d’une manière particulière, fraternelle. Cela exige de mettre la dimension socio-politique au cœur même de l’expérience chrétienne comme l’un de ses composants essentiels. Le contexte social particulier de l’Église de l’Amérique latine ouvre à une nouvelle compréhension de la foi en Jésus-Christ en associant la dimension politique à la mystique chrétienne. C’est une réflexion critique sur la pratique historique et qui accentue la dimension eschatologique sans relativiser le présent .

L’interprétation actuelle de l’Évangile doit susciter un nouveau mode d’existence sociale. L’expérience d’Auschwitz nous porte à comprendre davantage la nécessité de la théologie de la libération dans ce monde où la dignité humaine est meurtrie. 

Le monde présent exige un changement de méthode en théologie en raison des nouveaux défis. La théologie doit faire face à la mondialisation comme phénomène ambigu  qui constitue une difficulté immense à cause de sa tendance à sacrifier les identités anthropologiques, cultuelles et religieuses ; et à cause du présent sécularisé de la civilisation indifférente à l’engagement chrétien.

gerard Leroy, le 1er mai 2020