Pour Véronique et Bernard Schürr, en hommage amical

   " Qui a institué les sacrements ? " s’interrogeaient mes amis. En revenant à cette question la réponse n’est pas si simple.

« On ne naît pas chrétien, on le devient", affirmait Tertullien, Père de l’Église aux IIe et IIIe siècles. (Apologie du Christianisme, chapitre 18). Tertullien évoquait les signes et les rites qui font des baptisés les membres d'un même corps, l’Église. L'eau est l'élément central de ce rite, déjà pratiqué dans l’Ancien Orient. Depuis saint Jean Baptiste on ne se baigne pas, on est baigné par un autre. Au nom du Christ.

Il arrivait de surseoir à la demande de baptême. Ainsi, au IVe siècle, l'empereur Constantin reçut le baptême sur son lit de mort. D’une manière générale on demandait à être admis à la préparation au baptême et l’on s’inscrivait au catéchuménat, mis en place à la fin du IVe siècle. On s’achemine progressivement vers le baptême des enfants.

Mais ce n’est qu’à partir du XIIe siècle qu’on baptise les bébés. Pourquoi ? La mortalité infantile était effrayante et la maladie n'en est plus la seule cause. On souffre des guerres, de la famine. Des parents en viennent à déposer leur bébé sur le tourniquet à la porte d’un couvent. Les évêques s'émeuvent. Les synodes réagissent et prescrivent le baptême pour les nourrissons. 

Au XIIIe siècle une question surgit : à quel âge comprend-on bien ce qui se passe lors d'une célébration ? On répond en dissociant trois sacrements de l'initiation, jusqu'alors célébrés ensemble. On retarde la communion à « l'âge de "raison" -, qu’on situe entre 7 à 11 ans. Au XVIIe siècle, poussés par la Réforme protestante on tend à faire coïncider la réception des sacrements avec les années de catéchisme, qui s’étalent entre l’âge de 7 et 11-12 ans. En France, saint Vincent de Paul va lier la communion avec la profession de foi. Au XVIIIe siècle, développement de la "raison" aidant, la confirmation vient après la communion "afin d'être assuré que les enfants présentés seront suffisamment instruits".

En 1910, le pape ravive la communion pour les petits car la question n'est pas de "savoir", mais de recevoir un sacrement en en sachant le fruit. L'âge de raison a force de loi. Le droit canon le fixe à 7 ans. On fait désormais à cet âge sa "première communion ».

Par le mystère du sacrifice de la Croix et par la Résurrection ainsi qu’il l’a voulu, Jésus-Christ a fondé l’Église, à qui il a donné, d’abord à Pierre, la représentativité de son œuvre de salut. Les sacrements sont les réalisations de la présence de Jésus-Christ en l’Église, de son Esprit qui répand sa grâce en faveur de l’homme. En instituant l’Église, Jésus-Christ « causait » les sacrements, par des paroles qui allaient les instituer, historiquement transmises, celles du baptême (Mt 28, 19), de l’Eucharistie (Mt 26, 26ss), pour la pénitence (Jn 20, 22), pour l’ordre.

Pour bien saisir ce qu’est le sacrement il faut s’appuyer sur l’ « opus operatum », littéralement le « travail effectué ». L’Église s’engageant au nom de Jésus-Christ, adresse à un homme l’annonce du salut, cet « opus operatum » se réalise et on l’appelle sacrement.

La condition nécessaire pour que se réalise cet engagement de l’Église comme représentation de la grâce de Dieu est un cérémonial qui ne peut consister qu’en paroles. C’est sa « forme », qui lui donne d’être ce que le sacrement est, ainsi dans le sacrement de pénitence. Si la parole, toujours nécessaire, est associée à un geste liturgique, c’est sa « matière » (de quoi il est fait). La signification des paroles et des gestes s’accompagne de matières usuelles, comme l’ablution d’eau ou l’onction d’huile.

La nature sociale du geste détermine avec précision le rite en ses détails concrets qui ressortissent à la compétence de l’Église institutionnelle.

Il a fallu attendre le XIe siècle pour que l’Église ramène sous un concept formel ces réalisations fondamentales d’elle-même faisant du sacrement qu’elle donne le signe efficace de la grâce qu’elle représente. Autrement dit le sacrement est un signe qui réalise ce qu’il signifie.

Au centre de tous ces sacrements surgit la Cène du Seigneur, l’Eucharistie, l’anamnèse du sacrifice rédempteur au cœur de l’offrande liturgique du sacrifice. « Faites ceci… » Là, c’est le Christ lui-même qui institue. L’Eucharistie, qui donne du futur à la mémoire, est l’anticipation du Banquet de l’éternité.

 

Gérard Leroy, le 17 juin 2022