Pour Marie, pour Edwige, pour Françoise, Pauline, Nicole, Martine, Hélène, Denise, Véronique, Maryline, Anita, Emma, Sophie, Géraldine, Marie-jo, Cathy, Dominique, Anne, Suzanne, Andrée…
« Qu’on soit béni, qu’on soit maudit, tout’les bonnes sœurs, tous les voleurs, on ira tous… »
Avant la mort de son frère, Marthe représentait le type même de la femme forte, gérant la maison, à la manière de la Félicité de Flaubert, qui faisait la cuisine et le ménage, « lavait, cousait, repassait, savait battre le beurre, engraisser les volailles et dresser un cheval ». Marthe peinait peut-être à comprendre la révolution d’humanité qu’apportait le Christ. Dans une société qui interdisait aux femmes de lire la Torah, Jésus leur offrait, personnellement, un accès à la parole divine : « Marthe, tu t’inquiètes, tu t’agites pour bien des choses. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas retirée. »
Tu entends ça Marthe ?..
Cette phrase de sympathie fraternelle ne veut pas dire que le Christ sous-estime les gestes d’humanité élémentaire que toutes les Marthe du monde accomplissent chaque jour. En revanche, en les reconnaissant, Jésus invite les hommes à faire de même et à ne pas s’en exonérer. Mais, en même temps, Jésus invite les femmes à ne pas réduire leur compétence à la gestion des problèmes domestiques. À la femme qui l’interpelle crûment en bénissant le ventre qui l’a porté et les seins qu’il a tétés, Jésus répond : « Bienheureux plutôt ceux qui font la volonté de mon père. » À la mère des fils de Zébédée, qui cherche une place pour ses fils, il demande de ne pas confondre le Royaume avec une distribution de prébendes. Aucune des femmes des évangiles ne s’est plainte du Christ. Pas une seule fois elles ne doutent ni ne se méfient de lui. À Jérusalem, sur le chemin du calvaire, elles pleurent. Jésus les plaint. Parole prémonitoire ? « Pleurez plutôt sur vous et sur vos enfants. »
Le Christ n’admet pas non plus que quiconque, fut-ce sa mère, ne limite la vie de l’Esprit ni ne l’enferme dans le cadre de prescriptions futiles, même rituelles que les pharisiens imposent. « Quiconque, dit-il, fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère. » De même, plus tard, lorsque Simon-Pierre le dissuade d’un retour à Jérusalem, le Christ l’écarte avec violence : « Tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes. »
Hors de l’idole biologique, hors des méandres propices à l’accès au pouvoir, ce n’est ni dans les conventions surajoutées, ni dans le refus du risque que le Christ reconnaît la vie de l’Esprit. Les évangiles nous disent, en effet, que cette vie de l’Esprit est toujours liée à l’amour.
La vie de l’esprit s’exprime et se révèle par des gestes ou des attitudes qui éternisent, en un instant souvent inattendu, le lien d’amour qui « ne passera jamais ». Jusqu’au flacon de parfum brisé à Béthanie ou jusqu’au Calvaire où les femmes sont là, fidèles, témoins élémentaires d’humanité, non pas des femmes symboles, mais des femmes nommées par leur nom singulier.
Jusqu’au matin de Pâques enfin, où ces femmes, venues parfumer le cadavre de leur maître défunt, reçoivent en partage la révélation de la surabondance infinie de Dieu, la Résurrection de celui qu’elles appelaient « Mon Seigneur ».
gérard leroy, le 11 juin 2020