Pour le Fr Charles et Dominique, en hommage amical
Le prophète Isaïe avait annoncé « cette voix de celui qui crie dans le désert. »
À une vingtaine de kilomètres de Nazareth coule un fleuve, le Jourdain. Là, un homme dépenaillé, vêtu d’une peau de bête, quasi ermite, se nourrissant de sauterelles grillées, harangue les gens pour qu’ils aillent se faire asperger d’eau, autrement dit se faire “baptiser”. Cela se passe à proximité de Qumrân, près de Bethabara, au sud est de Jéricho, en dépit du courant rapide du Jourdain, sauf à l’un de ses gués que désigne Origène (1) et que Jean l’évangéliste confirme (2).
L’homme qui baptise s’appelle Jean. Ce prédicateur itinérant surfe sur la vague apocalyptique. En effet, depuis 5 siècles aucun prophète ne s’est manifesté dans le pays, qui rêve. De quoi ? D’un Messie qui viendrait délivrer Israël.
Jean, dit "le baptiste" est plus qu'un prophète. Son cousin, Jésus lui-même l'a dit (3). L’annonce avait prédit que la venue de Dieu serait préparée par un « Envoyé". Les juifs se demandaient alors si Jean n'était pas ce Messie attendu. Au cœur de la situation politique troublée de ce temps, l’historien juif de l'époque Flavius Josephe montre bien, dans ses Antiquités Juives, combien la Judée attendait l'avénement d'un Messie, qui renverserait le pouvoir romain. N'était-ce pas, en effet, le Bar-ha-Nash (le Fils de l'Homme), annoncé par le prophète Daniel (4) ? N'était-ce pas Élie (5). N’était-ce pas celui qu’attendaient aussi les Esséniens de Qumrân ? N'était-ce pas un ange ? La question restait au centre des débats chez les Pères de l’Eglise. Origène aura sa réponse là-dessus. Pour lui, la nature angélique de Jean-Baptiste est conjointe à sa nature humaine (6).
Jean-Baptiste viendra dire : « Je ne suis pas celui que vous attendez ! »
Grande figure religieuse du judaïsme, Jean le baptiste voyait arriver pharisiens et sadducéens pour se faire baptiser.
Le judaïsme le redécouvre depuis plus d’un demi-siècle. Aujourd’hui en effet, l'étude de l'Evangile a pris place dans la culture universitaire des étudiants en théologie rabbinique de Jérusalem. Les Syriens aussi sont particulièrement attachés à Jean-Baptiste, et pour cause: c'est dans la forteresse de Machéronte, près de la Mer Morte, que Jean-Baptiste fut décapité sur ordre de Hérode. La tête de Jean-Bapiste est aujourd'hui déposée dans un mausolée qu'abrite la grande salle de la Mosquée des Omeyyades à Damas. Les Syriens parlent de Jean-Baptiste comme d'un ascète d'une exceptionnelle sainteté. Mais la branche du christianisme où Jean-Baptiste tient la plus grande place mystique, c'est l'orthodoxie. Pour la théologie orthodoxe, Jean-Baptiste partage le même privilège que Marie d'être sanctifié dès le sein de sa mère, ce que souligne le P. Boulgakov.
Deux vocations majeures de Jean Baptiste : le précurseur et le missionnaire. Le précurseur d'abord. Celui qui précède Jésus dans sa vie terrestre et son ministère public. Celui qui précède Jésus dans le monde des morts, là où Adam, Abraham, David attendent la délivrance, ce monde immense de l’Avent, ce monde des âmes auquel Jean Baptiste annonce la délivrance imminente, richesse que notre cécité ne peut apercevoir. Le regard contemplatif découvre des abîmes là où nos regards courts restent à la surface de cet univers misérablement rétréci qu'a façonné le positivisme moderne.
Jean est aussi celui qui prépare —non plus au désert mais en l'homme, dans l'intimité de son être—, les voies du Seigneur. C'est son aspect d'Avent. La rencontre avec Dieu doit en effet être préparée. Pour cela il faut que toute colline soit abaissée et que toute vallée soit comblée ; il faut aplanir les montagnes échafaudées par le monde : nos vanités, nos mythes, nos idoles. Car il n'y a rien qui nous éloigne plus des sentiers qui vont à Dieu que nos idolâtries.
Désespoir et orgueil sont en effet deux obstacles fondamentaux à la foi. Il y a des gens qui sont encombrés d'eux mêmes, et cela leur bouche l'accès à Dieu. Il y a des gens qui n'ont pas assez d'espoir, et cela les retient d'aller à la rencontre de Dieu. Le premier acte d’intelligence n’est pas d’envier, ni de se plaindre, de ne retenir comme identité que la victimisation. Rien n’est indu. Dormir au chaud, manger à sa faim (Épicure) : 2 choses magnifiques. C’est le début de « tout va bien ». À ne rien espérer on a tout par surcroît.
Gérard LEROY, le 15 décembre 2022
- C. Blanc, Origène, Commentaire sur Saint Jean , Éd du Cerf
- Jn 1, 28
- Lc 7,26
- Dan 7,13
- Lc 9,8
- Origène, id. T 1, p 303.