Au Frère François, card, Jean-Pierre et Danielle, Marie et Bruno, et Bernard Schürr

   Un article récent, pertinent et stimulant du cardinal Bustillo paru le 8 mai 2024 dans le Figaro, a retenu notre attention.

Le Frère François dénonce  notre « mentalité thanatogène, véhiculant la mort de la planète, la mort de la démocratie, la mort de diverses doctrines économiques, la mort de l’intimité, la mort de la liberté, la mort de la religion ». Somme toute nous avons passé à la trappe des valeurs autour desquelles on accordait jadis un certain consensus, au point de banaliser (timidement) la mort et légaliser la fin de vie « par une mort autorisée (ce qui) est un échec de notre corps social et de nos politiques ». Nous sommes mis « en marche vers la mort, conclut-il,  (…) en constatant une crise de l’espérance, l'Occident désenchanté est un huis clos sartrien implacable et morbide ». Au point que Fr. François est terrifié dès lors que « des personnes puissent imaginer demander la mort à l’État ». Cette dégénérescence justifie certains à croire que l'envie doit devenir un droit.

Bien d’accord avec le cardinal « la vie et la mort sont (ou doivent être) laissés à l'appréciation personnelle.

Le positivisme scientifique a étouffé la quête de la transcendance. « Tout est calculé ou légalisé. La vie humaine, conclut le Frère François, se robotise, sans éthique ni morale ».

Je me permets de prolonger ? Dès le début du Credo je proclame que « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant (OSS 117 ?), créateur du ciel et de la terre du monde visible et invisible,… » 

« Je crois en Dieu, »… créateur de toute vie, donc de moi, de nous. Il m’a donné la vie.

Ce don n’est pas un prêt remboursable à plus ou moins long terme. C’est un don qui entraîne ma totale liberté d’usage. Ainsi, si l’on me donne une tablette de chocolat, je la mange ou je la partage, ou je la donne. Je suis libre d’en user comme je le veux. Elle m’a été donnée.

En même temps surgit le sentiment profond de reconnaissance affectueuse. Ce sentiment s’appelle la gratitude.

La gratitude d’exister

Tous les êtres rendent-ils grâce d’exister ? Délaissons l’amplitude éthique et politique de la gratitude et de la gratuité pour rejoindre la verticalité de l’idée théologique de la grâce. Le fait que Dieu ait créé ce monde est une grâce. Toute apparition d’une existence est déjà une grâce. Et ce fut apparemment un plaisir pour Dieu que cela soit, puisqu’il dit lui-même que cela était bon (Gn 1, 10).

La gratitude suppose tout simplement la faculté de recevoir le seul fait d’être né. À ce hasard absurde qui pourrait nous laisser le sentiment d’être superflus, désoeuvrés, inutiles, les humains répondent par l’initiative, la parole, l’action, la capacité à commencer à leur tour quelque chose de neuf. La gratitude est le moteur invisible de l’éthique, où chacun est autorisé à interpréter ce qu’il a reçu. Nous sommes donc convoqués à réfléchir sur l’intelligibilité de notre existence, son sens, et enfin sa justification. Qu’est- ce que je fais là ?

Par gratitude je reconnais celui qui m’a donné la vie, une existence qui répond, autant qu’elle le peut, par l’amour et la justice.

La gratitude s’appuie sur ce sentiment procuré par un don. La gratitude n’est pas universelle. Si c’est par la gratitude que l’on mesure l’émancipation, comment sera-t-il émancipé, celui qui n’est pas capable de se retourner pour dire merci ? La gratitude est la marque individuelle de la civilité. Qu’ils sont puérils ces individus qui croient ne rien devoir à personne ! Combien remercieront avec les mots sincères —pas des clichés stéréotypés et conformistes— les donateurs ?

La gratitude nous émancipe au point de retrouver l’autonomie de notre conscience. Une fin de vie règlementée par la loi ne fait que répondre au vide créé par l’absence de conscience individuelle.

C’est précisément à cause de la pluralité des perceptions de ce qu’est la vie, de ce qu’est la mort, de la diversité des degrés de conscience que la fin de vie relève de la conscience individuelle. Pas de la loi.

Gérard Leroy, le 23 août 2024