Pour Anita et Jacques de St Exupéry, V. et B. Schürr, Bruno et Marie, Fr Charles, Bertrand et Edwige, Véronique Robin, Françoise et Jean Ormières

   Il arrive que l’objection de conscience soit le motif avancé par certains médecins pour s’opposer à l’aide médicale à mourir.

La conscience, qui s’exerce chaque fois que nous sommes en situation de prendre une décision, n’est absolue que dans l’intimité du « je ». Elle relève de l’éthique, par delà le droit, donc par-delà la morale.  Je fais, ou refuse de faire ce qui me semble, non pas bien, mais bon. Le choix personnel rime avec la liberté. Totale ? Sauf quand autrui est impliqué.

En regard d’un patient en fin de vie s’établit une relation dont il faut tenir compte, entre le praticien et le patient. Cette relation est réciproque, mais n’atténue pas l’asymétrie entre le  malade vulnérable, en détresse, et le médecin auquel s’en remet le malade comme à une dernière bouée, un médecin en pleine santé et sachant.

Sur quoi, en premier, s’appuie cette relation ? Si le sort du plus faible doit primer, en ce qu’il « attend » du médecin, c’est alors qu’importe la fidélité à soi-même. Au moment où « je » m’engage, comme soignant, ou bien j’accepte par avance d’avoir à accomplir un acte qui prend ses distances avec mes dispositions intérieures lorsque je l’accomplirai, ou bien je dégage en touche et m’en remets au droit qu’il n’est pas en mon pouvoir d’instituer. Dans le premier cas, c’est moi, mon « je » qui décide, dans le second, c’est à un tiers que mon « je » transfère la décision. J’accepte alors de mentir à moi-même. Or, tout engagement est une réponse. À la question : « à qui ou à quoi je veux être fidèle  ? »

Ricoeur donnait une réponse dans Soi-même comme un autre : « Si la fidélité consiste à répondre à l’attente de l’autre qui compte sur moi, c’est cette attente que je dois prendre pour mesure de l’application de la règle ».

Dans cette acception, le soignant doit considérer qu’une autre exception se profile à l’écart de l’exception en faveur de l’autre. La sagesse pratique (l’éthique clinique) consiste à inventer les conduites qui satisferont le plus à la demande de sollicitude, en trahissant le moins possible la règle. La sollicitude étant ici le refus de l’indignité infligée à l’autre. Trahir le moins possible la règle de ne pas écourter la vie, voilà exactement ce qu’est l’aide médicale à mourir, au bout d’un accompagnement guidé par la fidélité et cautionné par les deux Cours suprêmes, celle de cassation et celle du Conseil d’État.

On ne peut donc se contenter de la simple objection et affirmer que « c’est contre ma conscience ».

Un juriste Canadien a déclaré que : « Le premier devoir du médecin n’est plus de sauver la vie à tout prix, mais de respecter la liberté de choix de son patient.» Voilà posée la dialectique à laquelle nous avons affaire. Selon un médecin britannique aujourd’hui décédée, il faut toujours « rejoindre le patient sur SON terrain et non sur le nôtre » : « Quelles que soient nos croyances, on ne doit jamais les imposer à une autre personne, surtout pas à un patient qui compte sur nous. »

Autrement dit on ne choisit pas la médecine pour sauver des vies, mais pour guider et servir des patients ; paradoxalement on se refuse de tuer quiconque, encore moins ses patients ! 

Le mot « tuer » exige une victime non consentante. L’aide médicale à mourir (AMAM) doit donc être demandée. La faute morale de tuer réside dans la suppression d’une vie sans le consentement de la personne. autrement dit : consentir exonère. Et qui demande l’aide à mourir consent.

L’objection s’appuyant sur Ex 20, 13  « Tu ne tueras point » se dresse. « sauf en cas de guerre, d’autodéfense ou de décret étatique » disent certaines constitutions, donnant aux États un droit de vie ou de mort sur leurs citoyens. Jadis, du temps de Socrate et d’Hippocrate, les sénateurs d’Athènes et de Rome accordaient des « permissions de mourir »  

Il n’y a pas d’objection de conscience qui vaille face à l’autre qui souffre. Quant à la loi, qui en France va probablement déboucher sur une reconnaissance de l‘aide médicale à mourir, qu’elle soit d’autorisation, d’interdiction ou d’obligation, la loi devrait-elle être hissée au rang d’absolu de nos vies ? L’immense théologien Paul Tillich se passe de traducteur : « Love is the ultimate law as it is the negation of law ». L’amour est la loi de tout et la négation de la loi.

 

Gérard Leroy, le 20 janvier 2023