Pour Danielle et Jean-Pierre Janier, en hommage amical
Depuis les Apôtres, le christianisme a franchi les limites de l’espace protégé du temple et de la communauté pour s’ouvrir sur le monde, dans lequel la foi est appelée à se confronter à l’interculturalité et à la science.
La culture mondialisée dans laquelle veut être proclamée la foi chrétienne est désormais caractérisée par la postmodernité et l’interculturalité. Le postmoderne suppose évidemment le moderne, qui est derrière nous depuis la chute du mur de Berlin mais qui est encore opérant. On fait coïncider la modernité avec deux symboles du XVIIe siècle : l’exaltation, à partir de Descartes, de l’individu autonome et autosuffisant, et avec Galilée et Newton, la méthode scientifique qui s’impose, indépendante de la théologie.
La postmodernité a été analysée et étudiée dès la fin de la modernité. Dans cette affaire, l’édifice de la morale, de la religion, de la culture même, et de ses valeurs, s’est mis à se lézarder de façon que l’on craint irréversible.
Dans un tel contexte, on imagine sans peine le dépaysement du croyant ou du théologien qui a dans ses bagages de solides thèmes tels que le divin, la transcendance, l’absolu, l’être, la communion, etc. Tous ces thèmes qui sont éloignés de la contingence, de la superficialité et de l’immédiateté. Place à la « cité séculière » postmoderne. Avec le théologien Harvey Cox nous nous trouvons aussitôt empêtrés dans un filet d’autres questions.
Le philosophe canadien Charles Taylor (L’âge séculier, Seuil, 2011) suggère de ne pas appliquer à la sécularisation des filtres interprétatifs sociologiques qui tendent à souligner les régressions du sacré et le déclin des pratiques religieuses. Il propose ce qu’il définit comme des « théories de la soustraction », qui quantifient ce mouvement du monde contemporain « se soustrayant » du religieux. Car le climat sécularisé n’enregistre pas un pur retrait de la religiosité de la scène publique, mais plutôt une métamorphose radicale de la sensibilité générale, symbolique et spirituelle.
Pour être plus clair, regardons la crise séculière non dans l’incapacité à croire quelques thèses sur Dieu tenues par nos ancêtres, mais dans l’incapacité à éprouver les mêmes émotions à propos de Dieu et de l’homme. Il s’agit donc de la mutation d’un modèle anthropologique et existentiel, qui peut laisser l’espace ouvert à une nouvelle annonce religieuse.
La « sécularisation comme problème théologique », le « sécularisme » désacralisant, est une « conséquence nécessaire et légitime de la foi chrétienne », selon le théologien Friedrich Gogarten. La foi chrétienne est en effet incarnée mais non théocratique (« Rendez à César… »). Elle ne se tient pas séparée dans un sacré hautain, mais elle est solidaire avec le monde, sans se dissoudre dans une pure fonction d’agence sociale. Sans optimisme naïf on peut donc penser que la condition sécularisée de la société postmoderne peut provoquer la religion et interpeller le croyant, en appelant l’inauguration d’un nouveau modèle d’annonce et de témoignage de la foi chrétienne.
Utopique ? Oui. En tant que l’utopie stimule notre imagination prospective pour déceler dans le présent tous les possibles ignorés et orienter vers un avenir neuf. Où l’homme reprendra sa place et redonnera la sienne à Dieu dont il est partenaire.
« Chacun son métier et les vaches seront bien gardées. »
Gérard Leroy, le 29 avril 2022