Pour Hélène Bellanger, en hommage amical

   En regard de la diversité des religions et de la richesse des voies de salut proposées par elles, le christianisme a, pendant longtemps, prétendu détenir la seule voie de salut. Or, le christianisme n’a ni la vocation ni la volonté de fermer la voie du salut à quiconque ferait profession d’une autre foi que la foi chrétienne. Le christianisme n’en atteste pas moins que cette voie est Jésus-Christ, qui est “le chemin, la vérité, la vie” (1). Saint-Paul écrira aux Romains : “Si de ta bouche, tu confesses que Jésus est Seigneur, et si dans ton cœur tu crois que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé” (2). N’allons pas faire dire à Paul ce qu’il ne dit pas, à savoir que ceux qui ne professeraient pas que Jésus-Christ est le Seigneur s’excluraient ipso facto du salut.

Le Christ est Unique et universel. Si cette unicité et cette universalité n’ont pas pour effet d’exclure, sont-elles inclusives?

Il n’y a pas d’autre nom donné aux hommes que celui de Jésus par lequel il nous faut être sauvés” (3). Est-ce que cela veut dire que les autres religions, parce qu’elles ne confessent pas Jésus-Christ, privent du salut leurs fidèles ?

Cette difficulté, spécifiquement chrétienne, engage les chrétiens à dépasser deux inclinations : celle qui nous porte “paresseusement” à exclure

les autres religions, et l’autre, prédatrice, qui voudrait inclure les autres religions à la sienne, comme on assemblerait des tables gigognes. 

Les grandes religions du monde formulent des approches humaines différentes, parfois balbutiantes, de l’unique Réalité Divine. Cela ne remet pas en cause l’unicité de la médiation du Christ comme source et cause de la grâce. C’est reconnaître la nature de la grâce, et non lui assigner un propriétaire. La grâce est christique, mais n’est pas pour autant le monopole du christianisme. C’est donc accepter que les autres religions puissent être destinataires de la grâce, du don de Dieu, qu’elles peuvent être des canaux ou des terrains d’expression de la grâce de Dieu. Il ne revient donc à personne, pas plus à une Église qu’à toute autre communauté, de s’arroger le droit de répartition de la grâce et donc de s’arroger en quelque sorte le monopole de la distribution ! La voie de salut implique “l’ébranlement” (4) de toutes les voies de salut, y compris la sienne. Au-delà des frontières visibles des Églises, la grâce peut bien continuer de se répandre dans l’histoire religieuse de l’humanité. Saint-Paul le dit clairement dans sa première lettre à Timothée: “Dieu veut le salut pour tous les hommes” (5).

En résumé, nous avons à éviter l’identification du christianisme et du Christ. Le christianisme témoigne d’une vérité qui le dépasse ; son rôle n’est ni de rejeter ni d’inclure. Le christianisme tend vers l’Être transcendant, qui n’est pas, redisons-le, le christianisme lui-même, mais Celui auquel il croit, et qui met le christianisme en relation de vérité avec les autres religions.

Ce principe, immanent à la foi elle-même, doit nous conduire à un vrai dialogue avec les autres traditions religieuses, dans lequel chacun doit puiser la source du respect de ceux qui ne partagent pas la même foi.

 

Gérard LEROY, le 15 mai 2015

 

(1) Jn 14, 6

(2) Rm 10,9 ; Mc 16, 15-16

(3) Ac 4, 12

(4) Paul Tillich écrit: “La Révélation est l’irruption de l’inconditionné dans le conditionné. Elle n’est pas la réalisation ni la destruction des formes conditionnées, mais leur ébranlement et leur retournement.” (Thèse §5 de son “Introduction à la dogmatique”). Le nouvel être révélé est celui-là même qui dépasse la distance entre l’essence et l’existence. La Révélation qui procède de cet être est unique et la voie de cette révélation est relative. L’absolutisation du conditionné (on dirait “déterminé”) est idolâtrie. Aussi sommes-nous invités par Tillich à ne pas absolutiser l’Écriture par rapport à la Parole de Dieu.

(5) 1 Tm 2, 4