Pour Mgr Élias Slemane, en ce Noël de communion

En dépit de leurs divergences, voire de leurs contradictions, les quatre évangiles nous renvoient chacun à la vérité du message évangélique sur Jésus. Ils ne visent pas à l’exactitude historique. Ils ne s’offrent pas à une lecture littéraliste comme cet Institut de Genève qui enseigne que tout ce que dit la Bible est littéralement "vrai", que le monde aurait été créé en six jours, qu’Eve aurait bien mangé la pomme, que tous ces faits sont réels et non des mythes ou des modes de récit.

Les textes néo-testamentaires comme les vétéro-testamentaires ne transmettent pas seulement des faits, mais une interprétation théologique de ces faits. Les fondamentalistes ont tendance à historiciser ce qui n’a pas de prétention à l’historicité. Il conviendrait de faire une distinction entre un fait brut et un fait élaboré. Or, souvent, les faits concernant la vie de Jésus sont des faits élaborés, théologiquement, même s’ils s’enracinent dans des faits historiques. C’est le cas, par exemple, dans le récit de la Transfiguration de Jésus.

Le fait historique, dans ce qu’il a de fugitif, est inaccessible, et le fait élaboré n’a pas la prétention d’être la retranscription de l’événement tel qu’il s’est déroulé. Tout récit, juridique, biblique, mythologique doit être passé au crible de la critique textuelle pour permettre d’accéder à une vérité signifiante plus importante que le support historique, et découvrir que la signification de la vérité reste impossible à dire d’un simple point de vue scientifique (exégétique, philologique ou même philosophique), impossible à transmettre sans le secours, le détour du symbole et du mythe. Il s’agit moins de savoir si ce qui est raconté s’est bien ainsi réalisé, que de découvrir la signification des faits racontés. Les évangélistes nous donnent quatre portraits de Jésus, quatre portraits qui sont infiniment plus révélateurs que quatre photographies. 

Si le contenu du texte des évangiles est historico-théologique, alors il ne relève pas seulement de la critique historique, il réclame aussi une compréhension théologique, c’est-à-dire un acte d’interprétation où la foi et l’histoire sont dans un jeu réciproque incessant. La foi au Jésus prêché renvoie à l’histoire du Jésus des évangiles, et le Jésus historique renvoie au Jésus qui est proclamé Seigneur et qui est vivant, ressuscité. C’est ce mouvement qui préside à la rédaction des évangiles, qui risque d’échapper aux lecteurs modernes. Ou bien ils sont spontanément fondamentalistes et tentés d’historiciser tel événement raconté qui n’a que l’apparence de l’histoire ; ou bien ils portent un regard exclusivement critique et sont tentés d’éliminer ce qui échappe à l’enquête historique, parce qu’ils demandent à l’histoire ce qu’elle ne pourra jamais démontrer : Jésus Fils de Dieu, Sauveur du monde, et sa Résurrection d’entre les morts.

Et pourtant, ce cercle de la foi et de l’histoire qui se nourrissent et se corrigent mutuellement répond à la nature même de l’objet de la foi de l’Eglise, c’est-à-dire au mystère de Jésus-Christ, inséparablement homme et Dieu.

 

Gérard Leroy, le 24 décembre 2021