Pour Olivier Riols, en hommage amical

   Il y a longtemps, bien longtemps, avant même le 13e siècle avant notre ère, la fête de Pentecôte était une fête agricole, où tout le monde se rassemblait pour célébrer la moisson des blés. Puis il y eut la fuite d’Égypte des Hébreux, qu’on situe à l’époque de Ramsès II, au 13e siècle, le passage du Sinaï, la remise des tables de la loi. La fête devint alors religieuse, en mémoire de cet événement.

Pour faciliter l’imagination d’une Jérusalem en fête le jour de Pentecôte il faut se remémorer les comices agricoles, au beau milieu du XX siècle, où se mêlaient veaux, vaches, cochons, et maquignons dans le chef-lieu de canton où les semi-citadins, sur les places pavoisées, guettaient l'arrivée du défilé de chars traînés par des bœufs, aux cornes dorées, décorés de boules et de branchages, comme si on avait voulu les déguiser en sapins de Noël.

Après la résurrection de Jésus, à Jérusalem, comme à Carthage, comme à Alexandrie ou à Antioche, ou même à Césarée, la fête de Pentecôte accueillait des gens venus de partout, pour vendre leurs œufs, leurs poules, leurs œuvres artisanales, avant de refaire le monde en dégustant une kémia et de s’asseoir autour d’une maklouba, ou une salade de fèves.

L’œil se tournait soudain vers des individus trainant leurs tréteaux et une estrade de fortune qu’ils allaient dresser au milieu de la foule, grimper dessus pour haranguer les badauds attroupés à l’écoute de leurs rêves, de leurs opinions philosophiques, religieuses ou politiques. À la lecture du Livre des Actes on peut être assuré que les apôtres ont agi de la sorte. Pour dire quoi ? « Vous les juifs, qui avez condamné Jésus de Nazareth au jour de Pâques, vous qui l’avez fait crucifier, vous vous souvenez ? Et bien, ce Jésus, il est ressuscité, nous l’avons vu. Nous en sommes témoins. »

On pourrait s’attendre à une rixe déclenchée par les Juifs vexés d’être montrés du doigt. Rien de tout cela. Au contraire. Ces gens agglutinés autour des estrades écoutent, entendent et comprennent la langue de ceux qui leur parlent, en Grec, en Hébreu, en Araméen, alors que leur langue à ces gens venus de la Cyrénaïque, de Bithynie, de la Cappadoce, d'Égypte ou de Syrie se réduit au patois de leur région. Tous, d’où qu’ils viennent, entendent les apôtres dans la langue des apôtres. La diversité reste intacte. L’unité se forme, autour d’une parole.

Tout récit, juridique, mythologique, biblique, doit passer au crible de la critique textuelle pour permettre au lecteur d’accéder à une vérité signifiante plus importante que le support historique et découvrir que la signification de la vérité reste impossible à dire d’un simple point de vue scientifique (exégétique, philologique ou même philosophique), impossible à transmettre sans le secours, le détour du symbole et du mythe.

Et la vérité signifiante qu’on peut tirer de ce texte qui souligne la diversité en même temps que l’unité, c’est que l’un et l’autre sont liés, nécessairement. Ce qui fait écho à la construction de la tour de Babel en Gn 11. Ce que reprend une pensée de Pascal : « Une unité qui ne tient pas compte de la diversité est tyrannique ; une multiplicité qui ne tient pas compte de l’unité est anarchiste. »

Belle leçon pour qui veut l’entendre, aujourd’hui.

 

Gérard Leroy, le 21 mai 2021