Pour le Fr. Charles, Bruno, L. Bernard K

   Voici un an, presque jour pour jour, le P. Guttiérez nous quittait.

C’est dans le sillage des indignations devant les conditions de travail inhumain, source de la pensée de Marx, qu’on a vu surgir des théologiens en prise sur des réalités, les théologies du travail et du développement. Celle de JB Metz s’ajoute aux théologies de la libération de Gustavo Gutiérrez mort le 22 octobre dernier, de Leonardo Boff, plus tard de l’évêque de Récife, Dom Helder Camara, ou encore de Jurgen Moltmann dont la théologie de l’espérance témoigne, face au marxisme, en faveur d’un Dieu à vocation de libérateur. 

Né à Lima (Pérou), Gustavo Gutiérrez a tout juste 12 ans lorsqu’une ostéomyélite le cloue au lit plusieurs années.  Il étudie à la maison et découvre Pascal, qui le marque durablement, puis Karl Jaspers qui l’oriente vers la philosophie et la psychologie.

Son désir de devenir prêtre s’estompe. Il rejoint cependant le Tiers-Ordre franciscain. « La pauvreté était déjà présente dans ma vie d’enfant de famille modeste, marginalisé par la maladie », constatait-il.

À 18 ans, Gutiérrez peut entrer à l’université pour y étudier la médecine, ainsi que la philosophie. Des questions interrogent sa foi. À 24 ans, il choisi de devenir prêtre. L’évêque de Lima l’envoie en Europe où, à Louvain précisément, il apprend le français et écrit une thèse sur Freud. Puis il rejoint Lyon pour faire sa théologie. Il rencontre alors le P. Gelin, exégète, Gustave Martelet et les dominicains Marie-Dominique Chenu, Christian ­Duquoc, Claude Geffré. Il décide alors d’entrer dans l’Ordre des prêcheurs.

« Vivre en solidarité avec les pauvres »

Puis Gustavo Gutiérrez regagne le Pérou. Nommé dans une paroisse du quartier pauvre de Lima. Il donne des cours à l’université catholique. Une question le hante : comment dire au pauvre que Dieu l’aime ?

Il distingue trois dimensions de la pauvreté. Celle de tous les jours : « Elle n’est pas une fatalité, explique-t-il, mais une injustice. » ; la pauvreté spirituelle ;  la pauvreté comme engagement, qui conduit à vivre en solidarité avec les pauvres.

À propos d’une théologie du développement il explique « qu’une théologie de la libération est plus appropriée ». Ce qui inspire les évêques réunis à Medellin (Colombie) pour la conférence du Celam.

La théologie de la libération

En mai 1969, au Brésil, alors sous la dictature militaire, les pauvres commençaient à se faire entendre. Gutiérrez rencontre des étudiants militants de l’action catholique, des prêtres, dont les témoignages vont enrichir sa réflexion qui aboutit à son œuvre maîtresse qui prolonge la constitution Gaudium et spes  : Théologie de la libération

L’un des niveaux où s’opère la théologie de la libération s’arrête aux causes des situations injustes. Dom Helder Camara, que la bourgeoisie brésilienne appelait « l’évêque rouge », déclarait « Quand je nourris les pauvres, ils disent que je suis un saint. Mais quand je demande pourquoi les pauvres n'ont rien à manger, ils me traitent de communiste ».

La libération est une tâche évangélique, une réponse au défi que la pauvreté pose au langage sur Dieu. Cette théologie se révèle contagieuse. Aux États-Unis, en Afrique, en Asie, des théologies des tiers-mondes s’éveillent. Mais cette théologie se heurte à des oppositions, qui l’accusent de marxisme. Des résistances se manifestent au sein même de l’Église latino-américaine. 

À Paris pour l’anniversaire du Comité épiscopal France-Amérique latine (CEFAL), Gustavo Gutiérrez a posé sa canne noire qui ne le quittait pas, s’est assis, a écouté des étudiants de l’Institut catholique de Paris avec lesquels il a évoqué la théologie de la libération. La théologie de la libération est alors sévèrement critiquée par la congrégation pour la doctrine de la foi, dont le cardinal Ratzinger était alors le préfet. Gustavo Gutiérrez, comme d’autres, devra s’expliquer. En 2004, après vingt années de dialogue, le cardinal Ratzinger « rend grâce au Très Haut pour la satisfaisante conclusion de ce chemin de clarification et d’approfondissement ».

Pratiquer la justice, travailler à la libération des hommes, c’est être partenaire de Dieu. C’est en somme un acte d’évangélisation.

 

Gérard Leroy, le 17 octobre 2025