Pour Aurélie Calluaud, en hommage amical

   Hans Küng, décédé le 6 avril 2021, aura marqué le XXe siècle.

Ce contestataire intrépide a, tout au long de sa vie, reçu des coups. L’on s’est indigné contre celui que certains, qui n’avaient sans doute pas lu ses ouvrages, n’ont pas hésité à qualifier d’hérétique. Ceux-là déversaient aussi, rien d’étonnant, leurs détestations  sur la génération de Vatican II, et se faisaient les chantres du magistère.

Jeune « expert » du Concile avec Joseph Ratzinger, il se fit remarquer pour sa liberté. Il revendiquait cette « fidélité turbulente », soulignant que c’était toujours de l’intérieur que naissait sa catholicité critique, face à la désertion des lieux de culte, la sécularisation croissante, la raréfaction des candidats au séminaire et la vague de révélations d’agressions sexuelles de la part de prêtres. Cet esprit critique lui fit remettre en question le célibat des prêtres, l’ordination des femmes, l’implication du clergé et des laïcs dans le choix des évêques. Il ira jusqu’à inviter à une réflexion sur l’infaillibilité pontificale (1), à la manière des « Vieux catholiques ». Il s’intéressa d’abord à la question de la vérité et de la liberté dans l’Église. Il ne cessera de déplorer l’absence de réformes amorcées par Vatican II, prétendant se référer exclusivement à la « radicalité christique » des évangiles, et à la dynamique réformatrice de Vatican II.

Küng fut convoqué à Rome dans les années 1970 par la Congrégation pour la doctrine de la foi soucieuse de « l’intégrité de la vérité de la foi catholique ». Notre théologien réclama les pièces du dossier et le motif explicite de sa convocation, souhaitant encore le nom de ses interlocuteurs et connaître les modalités financières relatives à son déplacement avant de se rendre à Rome. Sans réponse Küng resta chez lui.

Tout cela se termina par la mise à l’écart de l’enseignement théologique de l’intéressé en 1979, et l’interdiction de publier. 

On ne s’étonnera pas que Küng n’ait jamais fait l’unanimité ni chez les théologiens ni dans l’opinion catholique. Le philosophe Jean-Louis Schlegel, qui l’a bien connu, suppose que sa personnalité, son succès médiatique, ont favorisé sa réussite insolente. Le différend essentiel venait de l’attitude face au magistère.

Küng, il faut l’avoir lu, est d’abord un théologien lisible, présentant l’essentiel du christianisme avec un grand souci pédagogique qui donne au lecteur des « clefs pour comprendre » (4).

L’Allemagne n’a pas connu, comme la France en cette fin de XXe siècle, l’exceptionnel essor des sciences humaines emportées par l’apparition du structuralisme, la critique des « signes », la déconstruction initiée par Derrida, la biopolitique ouverte par Foucault, le simulacre par Baudrillard… Aux États-Unis, on a qualifié cette galaxie d’auteurs de French Theory.

Selon Küng, l’Église avait encore à faire pour admettre la modernité des Lumières, et accepter que les problèmes prioritaires n’étaient plus, estimait-il, le socialisme d’État, le néo-capitalisme, ou le japonisme (3), mais l’écologie, la question des femmes, la distribution équitable des richesses et la religion. Il sonnait la fin des idéologies modernes, d’une science sans sagesse, d’un progrès éternel.

Küng est resté prêtre et membre de l’Église. Pour lui, un théologien doit exercer son rôle d’intellectuel critique de l’institution.

La seconde partie de sa vie fut en faveur du dialogue inter-religieux au service de la paix entre les religions, préalable à toute paix entre les nations. « Pas de survie sans ethos planétaire. Pas de paix mondiale sans paix religieuse. Pas de paix religieuse sans dialogue entre les religions. » (2). De ce projet est né sa Fondation Ethique Planétaire pour « la paix».

Il y quelques années, en 2016, le pape François s’est adressé à Hans Küng en une lettre que le pape a commencée par « Cher frère ! ». De l’eau avait coulé sous les ponts.

 

Gérard Leroy, le 24 septembre 2021

  1. Hans Küng, Infaillibilité, une interprétation, Trad. fr. Henri Rochais, Paris, Ed. Desclée de Brouwer, 1971.
  2. H. Küng, Projet d’éthique planétaire, Seuil, 1991, p. 9.
  3. H. Küng, id. pp. 33 à 50.
  4. H.K., Le Christianisme. Ce qu'il est et ce qu'il est devenu dans l'histoire, trad.fr. par Joseph Feisthauer, Paris, Ed. du Seuil, 1999 (plus de 1000 pages)