Pour le frère Charles, en hommage amical

   Professeur à l’Université de Münster pendant 30 ans, puis consulteur du Secrétariat pontifical pour les non-croyants, co-fondateur de la revue internationale de théologie Concilium, le grand théologien Johann Baptist Metz est mort lundi 2 décembre à Münster, à l’âge de 91 ans. 

Après avoir été disciple de Karl Rahner, JB Metz s’en éloigna pour s’engager dans une Nouvelle théologie politique, qui partait de la prise en compte de la souffrance des pauvres et des exclus. Car Jean-Baptiste Metz n’a jamais cessé de sentir rebondir en lui le problème de Dieu dans sa version politique (1). Il percevait le discours sur Dieu comme un appel au secours, donc un appel au salut des exclus de l’histoire, de ceux qui n’apporteront jamais rien au monde parce qu’ils sont dépourvus de tout et n’ont que leur souffrance injuste à offrir à nos regards qui s’en détournent. 

Si JB Metz conçoit l’existence dans sa dimension sociale et politique, il ne met nullement sous le couvercle la Parole de Dieu, laquelle est première parce que tout vient d’elle. Car, reconnaît-il, c’est dans son Être concret, singulier, en ce Jésus de Nazareth que se décide le sens non seulement de Dieu mais de toute existence humaine.

J.B. Metz écartait les réponses convenues, comme celle qui, dans le sillage de saint Augustin, excuse Dieu en mettant la souffrance au compte de la liberté humaine ; il préférait abroger la question en parlant de la «souffrance de Dieu», nous invitant à oublier la nôtre. Il invitait à percevoir une mystique du «mal à Dieu», cette mystique qui n’est pas une réponse qui rassure devant la souffrance éprouvée, mais plutôt une révolte, une réplique engagée et impatiente du malheureux en attente de Dieu. En un temps de crise, insistait-il, et tandis que d’aucuns s’évertuent à dépenser des fortunes pour faire plus pauvre, l’Église doit s'impliquer plus que jamais dans la vie sociale, ne pas se détourner du monde, mais être dans le monde, par vocation, à être comme la voix des sans-voix.

C’est dans le sillage des indignations devant les conditions de travail inhumain, d’où est née la philosophie marxiste, qu’on a vu surgir des théologiens en prise sur des réalités, les théologies du travail, du développement. Celle de JB Metz inaugure la théologie politique, se rapprochant des théologies de la libération du Gustavo Gutiérrez, de Leonardo Boff, plus tard de l’évêque de Récife, Dom Helder Camara, ou encore de Jurgen Moltmann dont la théologie de l’espérance témoigne, face au marxisme, en faveur d’un Dieu à vocation de libérateur. Toutes ces théologies, nées dans le voisinage de l’existentialisme, ont suscité des méfiances, avant d’être taxées de déviations, ou d’être carrément accusées de contamination par le marxisme. Ce que n’a pas approuvé le pape Paul VI lui-même, qui a fait preuve de discernement en distinguant l’athéisme, la lutte des classes, l’analyse économique, l’exigence de justice. Il nous faut toujours songer à restituer à César ce qui relève de la tâche historique assumée par les hommes et à Dieu l’offrande de la libération. 

« Christianiser le monde, écrivait JB Metz, c’est le faire parvenir à son être propre, c’est lui ouvrir les hauteurs ou les profondeurs presque insoupçonnables (…) hélas compromises ou même ruinées par le péché (…) qui octroie au monde la possibilité d’être autre chose que ce qu’il est vraiment. La grâce, au contraire, est liberté (…) qui convertit à l’être propre du monde. » 

Le rayonnement mondial de ce théologien n’a pas manqué de toucher nombre d’étudiants en théologie dès les années 70. Il semble même avoir imprégné le discours du pape François.   

 

Gérard Leroy, le 13 décembre 2009

(1) J.-B. Metz, Pour une théologie du monde, Paris, Cerf, 1971