Pour Hélène Bellanger, en hommage amical

  Pendant longtemps les croyants ont eu recours à des définitions notionnelles de la foi, lui donnant par exemple de siéger dans l'intelligence. C'était la perspective, en 1870, de Vatican I. La définition que donnait Vatican I de la foi s’arrêtait à ceci : "La foi est une vertu surnaturelle par laquelle Dieu illuminant de sa grâce nos intelligences, nous croyons vraies les choses qu'il a révélées non pas à cause de la vérité intrinsèque des choses perçues par la lumière naturelle de la raison, mais à cause de l'autorité de Dieu même qui se révèle et qui ne peut ni se tromper ni nous tromper." Il faut situer une telle approche de la foi dans un certain climat polémique, qui cherchait à réfuter des conceptions non dogmatiques de la foi. Ainsi, en 1870, sous le pontificat de Pie IX, le Concile ne faisait que formuler ce qui, depuis le Moyen âge, était généralement dit de la foi par réaction au protestantisme. Le Concile a réagi par rapport à la foi sentiment, la foi pure intuition, par rapport au courant idéaliste du XIXe siècle emmené par Kant, ou encore par rapport à la philosophie socio-libérale conduite par le prêtre-philosophe Lamennais. 

Avec Vatican I la foi est en quête des vérités qu'il faut croire pour atteindre le salut, elle est dans l'attente d'un enseignement religieux, qui est vulgarisation d'un enseignement du magistère, lui même vulgarisation d'un dépôt sacré des vérités révélées s'originant dans l'enseignement de Jésus-Christ, comme dernier prophète de l'Écriture, relatif à Dieu comme vérité première. Dit autrement, et en sens inverse, Dieu est vérité première, laquelle est enseignée par les prophéties successives, Jésus étant le dernier à révéler les vérités de Dieu, vérités reprises par le magistère qui vulgarise l'enseignement pour le croyant en attente de salut. C'est dans ce climat particulier qu'il faut re-situer

l'élaboration du texte de Vatican I. L'Église ressentait le besoin de tirer au clair certains points, notamment pour contrer les attaques que la Révélation biblique, et plus généralement la Révélation divine, subissait de la part de critiques modernes. Les textes conciliaires sont toujours des textes en situation. 

Est-ce la seule façon de dire la foi chrétienne ? Non. Mais à ce moment-là c'était la façon qui paraissait la plus importante compte tenu des approches qui s'élaboraient dans le rationalisme idéaliste. Et bien qu'elle ne soit pas étrangère à la foi confessée, cette conception réduisait Jésus au rôle d'enseignant. Peut-on dire que la foi c'est cela, qu'elle n'est que cela ? Vatican I ne répond pas à la pleine interprétation de l'expérience croyante depuis la Pentecôte. Alors que Vatican II s'enracine dans le Nouveau Testament qui témoigne de l'expérience croyante des origines, qui est plus fidèle à l'interprétation des expériences croyantes reçues à travers les siècles. Avec Vatican II le Christ n'est plus seulement le messager, le porte-parole détaché pour une fonction d’enseignant de la Parole de Dieu. Il est sa Parole. Dans le schéma de Vatican I, la Parole devient ministère, se transmet, s'enseigne ; dans le schéma de Vatican II, plus précisément dans la constitution Dei Verbum, Dieu n'est pas simplement immunisé contre l'erreur, mais Dieu a un dessein de salut pour la création tout entière. Vatican II remet au centre l'existence historique de Jésus, sa mort, et sa résurrection en Christ. Dans son événement, Jésus Christ est lui-même Parole. Il n'est pas seulement celui qui transmet une parole-discours, il est celui en qui la Parole de Dieu est incorporée. Le Prologue de Jean dit bien tout cela. Il n'est donc pas insensé de dire que Vatican II apporte une amélioration de la compréhension de Jésus-Christ.

C'est de la Parole que vit la foi. Non comme d'une leçon apprise, mais comme d'un principe générateur, stimulant, vital, nourrissant. La Parole est bien vérité. Mais la foi ne se réduit pas à l'appropriation des vérités. D'autre part, les chrétiens doivent prendre en compte le déplacement du statut de la vérité qui s'ouvre aujourd'hui à l'interprétation. Comment pourront-ils proposer l’accès à l’Événement fondateur de leur religion en faisant l’économie d’une ré-interprétation  des textes qui le relatent ? La raison philosophique prend aujourd’hui ses distances à l’égard de l’ontologie classique et considère comme importante la place de l’herméneutique, comme “méthode”, comme art de dissiper les obstacles à la compréhension.  

De Vatican I à Vatican II, les croyants sont passés d'une révélation notionnelle de la foi —Dieu transmettant des vérités en "endoctrinant" les hommes— à une révélation de type événementiel. La foi devient la foi en un événement dans lequel un homme précède une communauté qui s'approprie l'Évangile, confesse, participe, et vit de la Parole.

 

Gérard LEROY, le 25 octobre 2014