Extrait de la conférence publique prononcée le 19 mai dernier à l'École des Psychologues praticiens de Lyon, par Gérard LEROY

L’Europe, fille d’Athènes, ainsi que nous l’avons montré précédemment, est aussi fille de Rome. Au VIIe s. av. JC, la Grèce est divisée balkanisée, morcelée en une pléiade de cités-États grandes comme le Val d’Oise, qui se chamaillent cruellement. La Grèce est un véritable champ de batailles avant l’arrivée des Romains.

Ce que vont apporter les Romains au monde grec, c’est la volonté d’une paix durable, là où les luttes de pouvoir avaient fait des ravages.

Le Romain n’est pas, comme on le croit trop souvent, le soudard botté et casqué passant le plus clair de son temps sur les champs de bataille, et qui se fait vomir à ses moments perdus, au cours d’orgies mémorables dans un lupanar ! Le Romain est un homme pourvu d’intelligence et épris de culture, qui tend à se pourvoir d’une tradition qui le fasse éternel.

La bonne société romaine, éprise de curiosité pour les choses de l’esprit, honore ses philosophes. De nombreuses familles, et pas seulement les gens des beaux quartiers, prennent à demeure un philosophe, souvent grec ou d’Asie mineure, pour éduquer leur fils. Les Romains se piquent de philosophie. Elle est présente partout, au palais, au Sénat, dans les rues. On se préoccupe de métaphysique, et de morale.

Et quel est le mot qui revient le plus souvent dans les conversations ? C’est le mot Logos, (ss : verbe, parole). Ce terme grec que signifie t-il pour les penseurs romains, épris de stoïcisme ? Le logos, le Verbe, désigne le principe qui préside à l’organisation rationnelle et harmonieuse de l’univers. Les Romains, comme d'autres, observent le soleil se lever derrière un horizon et se coucher derrière l'horizon opposé; ils observent encore l'alternance des saisons, ou voient le soir un ciel constellé d'étoiles dont la configuration est identique à celle de la veille. Tout cela ne peut pas être, pensent-ils, sans qu’il y ait un principe derrière. Le logos est donc à connotation divine pour les stoïciens.

Que les chrétiens proclament, à la suite de l’évangéliste Jean, qu’au commencement était le Verbe, que le Verbe était Dieu, il n’y a rien là qui heurte la mentalité romaine et stoïcienne. Mais que les chrétiens annoncent que “le Verbe s’est fait chair et qu’il a habité parmi les hommes”, C’est le monde à l’envers ! À en perdre son latin !

Cette proclamation est irrecevable pour la culture de l’époque. Non seulement c’est un scandale pour les Juifs, qui imaginaient l’avènement du Messie sous des couleurs plus éclatantes, mais c’est une folie pour les non-juifs, que rien ne préparait à cette idée d’un dieu, juif de surcroît, mourant et ressuscitant pour sauver les hommes d’on ne savait quelle transgression.

L’empereur Marc-Aurèle, philosophe, qui connaît son stoïcisme sur le bout des doigts, le fera savoir aux chrétiens et condamnera Justin de Rome, le matin des intellectuels chrétiens, à la pendaison “en raison de cette insupportable “déviation” dans le monde des idées” qui entraîne une véritable révolution dans la définition du divin". On ne rigolait pas avec ces choses-là.

Les Romains sont curieux de tout : d’astronomie, de géographie, d’ethnographie, de sciences naturelles. On sait tout cela par Suétone, ou Cicéron, mort peu après César.

Une belle tête ce Cicéron qui veut combiner la monarchie, l’oligarchie, et la démocratie, avec un chef qui disposerait de toutes les vertus. Heureux État ! Cicéron prend en sténo les discours au Sénat. Rien d’étonnant à cela car la sténographie fut inventée quatre siècles plus tôt, par un certain Xénophon. On dit même que l’empereur Titus sténographiait uelocissime, “avec vélocité”. 

Si dans l’inventaire des racines de l’Europe l’influence de Rome ne vient pas spontanément à l’esprit, nous sommes bien obligés de reconnaître que nos transactions humaines, commerciales ou politiques, sont balisées par un droit que Rome nous a légué. On sait que le droit romain commence par un corpus de lois écrites au Ve s. av. J.-C., et que le droit français trouve son origine dans les constructions juridiques issues de la codification de ce corpus apportée par l’empereur byzantin Justinien au VIe s.

Chaque fois que les Européens reconnaissent leurs sources, qu’elles soient juives ou grecques, c’est aussi à Rome qui les leur a transmises que va la reconnaissance.

 

 

Gérard LEROY