Pour Bruno, Arnaud, en hommage affectueux
La réflexion sur la laïcité est aujourd’hui ouverte à l’école, impliquant une formation préalable des enseignants qui auront la charge de transmettre une histoire (et ses déterminants), sans laquelle toute tentative de réflexion est inéluctablement vaine.
Ils savent, ces enseignants, que la laïcité n’est pas une idéologie, mais un mode de fonctionnement de la République permettant de faire société, tenant compte de la diversité des convictions religieuses ou philosophiques. Une formation à la laïcité suppose donc en premier une connaissance des phases préparatoires à la séparation des pouvoirs rituel et temporel, en gestation dès l’avènement de la IIIe République (1870). Un approfondissement historique des religions est ensuite à entreprendre, celles qui ont marqué notre histoire et dont l'influence reste encore significative, et celles qui se sont introduites au gré des migrations, de musulmans en particulier.
Qu’on s’apprête à rencontrer les points de blocage de l’histoire présente, comme le refus des droits de l’homme au nom de la loi divine, ou la carence des moyens à mettre en œuvre pour rendre viable la Cité (1). Ajoutons qu’en dépit d’une sécularisation croissante, de nouvelles religiosités se multiplient, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, sans que les grandes religions du monde s’essoufflent. Cette nouvelle conscience du pluralisme est en lien étroit avec le processus de mondialisation qui transforme nos sociétés comme jamais auparavant. Reste que la question de la Transcendance comme réponse éventuelle à la quête du sens ne s’est pas émoussée.
L’enseignement du fait religieux à l’école se penche moins sur la laïcité d’abstention propre à l’État, que sur la laïcité dynamique, qui est celle de la société civile, en ce qu'elle permet le dialogue entre des personnes confessant des convictions difficilement conciliables. Son exercice implique la reconnaissance mutuelle de la liberté d’expression des interlocuteurs. Il y a un art de traiter ces différents difficilement conciliables, par la reconnaissance du caractère raisonnable des interlocuteurs, de leur dignité, le respect des points de vue, la plausibilité des arguments invoqués de part et d'autre.
Ce serait une illusion de penser que l'on peut faire société, au-delà d'un simple « vivre-ensemble » en tolérance mutuelle, en refoulant nos convictions ou en ne les exprimant que dans le domaine privé.
L’enseignement du fait religieux n’est pas sans difficultés. Je renvoie au rapport de Régis Debray de 2002, qui déplorait l'absence de culture religieuse chez les étudiants, participant à leur indigence culturelle facteur de l’incompréhension des grandes composantes de leur propre histoire. Depuis, on assiste, hébétés, à la montée des fondamentalismes caractérisés par leur degré d’aliénation mentale. Les fondamentalistes sont bien souvent des analphabètes. L’islamisme est l’un de ces fondamentalismes. Pas une religion mais l’appropriation d’une doctrine religieuse radicalisée, instrumentalisée, en vue d’imposer un système de gouvernance totalitaire, au service d’une haine de la modernité, de l’Occident en particulier symbolisé par une Amérique impériale.
Nous nous éloignons de la compréhension de ces phénomènes tant que persistent les préjugés anciens selon lesquels la religion serait un phénomène du passé, dépassé, ayant affaire comme le note Régis Debray, à un « reliquat moribond de l'âge préindustriel », devenu inutile à l'époque de la modernité emportée par l’utilitarisme.
On reste impuissant devant le recours d’extrémistes religieux à la violence. Certains refusent que la religion puisse être enseignée et débattue. Or c'est le nœud de l'affaire. Il nous fait relever la partie affective de l’engagement rigide, comme de l’engagement qui s’oppose à la religion. Il nous faut aussi distinguer ce qui relève de la vie de la communauté de foi (avec sa culture) de ce qui relève de la vie sociale. Il nous faut enfin déboucher sur l’aspiration commune à une bonne communication entre les personnes afin que soit prohibé ce qui lui nuit.
Répétons-le : l’ignorance alimente le fanatisme. L’attitude « obscurantiste » des préjugés antireligieux relève de l'ignorance des religions telles qu'elles se sont exprimées dans l’Histoire. L'enjeu n'est pas de présenter une improbable « essence » de telle ou telle religion, mais de découvrir le vecteur religieux dans la complexité géopolitique. L'approche historique déjoue les pièges identitaires.
L’enseignement du fait religieux à l’école comble une partie majeure de l’ignorance culturelle. Et puisqu’on se rassemble autour de la cause du fondamentalisme et du fanatisme, on pourra se libérer des haines anti-religieuses et des violences attachées. Les éducateurs vont être amenés à surmonter les frilosités, à oser ouvrir des lieux de débat. Non seulement l'enseignement du fait religieux n'est pas incompatible avec la laïcité, mais il peut en être un puissant ferment.
Gérard Leroy, le 13 août 2021
(1) cf. Abu Nasr Mohammed al-Farabi (872-950), La Cité vertueuse, Flammarion, Coll. Champs, éd. 2002