Pour Gilles et Béa, avec mon affectueuse amitié

   Dans les années 60 des penseurs américains ont déclaré Dieu “irrelevant”. Il ne convenait plus, dans la culture moderne, de parler de Dieu. C’était une notion inconcevable. On a appelé ces gens les “théoriciens de la mort de Dieu”.

Dieu est-il encore pensable? et aujourd’hui ? Est-ce que la souffrance du monde n’écarte pas ce Dieu que l’on croyait bon ? Nos discours sur Dieu paraissent souvent, à cause même de cela, dérisoires. Sans se rendre compte qu’elle n’a pourtant plus les rênes que lui ont arrachées les magnats de l’économie, c’est à la politique que les gens s’en remettent.

Un des théologiens de la théologie de la libération, Jean-Baptiste Metz, n’a jamais cessé de sentir rebondir en lui le problème de Dieu dans sa version politique (1). Il perçoit le discours sur Dieu comme un appel au secours, donc un appel au salut, des exclus de l’histoire, de ceux qui n’apporteront jamais rien au monde parce qu’ils sont dépourvus de tout et n’ont que leur souffrance injuste à offrir à nos regards qui s’en détournent. 

Le dominicain péruvien Gustavo Guttierez a entendu ce cri. Dom Helder Camara l’avait entendu, lui aussi. Ce n'est donc pas la première fois qu'un théologien affronte la question de Dieu à partir du cri de ceux qui souffrent. J.B. Metz écarte les réponses convenues, comme celle qui, dans le sillage de saint Augustin, excuse Dieu en mettant la souffrance au compte de la liberté humaine; la deuxième, qui abroge la question en parlant de la «souffrance de Dieu» nous invitant à oublier la nôtre. À ces réponses insatisfaisantes, il faut opposer ce que J.B. Metz appelle une mystique du «mal à Dieu» . Cette mystique n’est pas une réponse qui rassure devant la souffrance éprouvée. C’est plutôt une révolte, une réplique engagée et impatiente du malheureux en attente de Dieu.

Cette attente renonce à l'explication ultime du mal. Elle ne signifie nullement un repli sur soi. L’Église ne peut battre en retraite dans la vie privée. En un temps de crise, elle doit s'impliquer plus que jamais dans la vie sociale. Le christianisme est une religion qui ne se détourne pas du monde. Elle est dans le monde et elle est au monde.

Toute théologie qui se voudrait politique a dès le départ cherché à rompre de façon critique avec l'auto-privatisation par laquelle la théologie réagit le plus souvent à la modernité européenne, s'affichant ainsi d'une certaine manière comme un programme de dé-privatisation."

On sait l'écho que cette approche a provoqué chez les théologiens de la libération, particulièrement en Amérique latine. À l'heure de la mondialisation, elle garde toute sa raison d'être comme la voix des sans-voix.

 

Gérard LEROY, le 27 avril 2012

(1) Johann Baptist Metz, Pour une théologie du monde, éd. du Cerf, coll. Cogitatio fidei, n° 57, 1971.