Pour mes amis musulmans, en partage
L'origine du sanctuaire de La Mecque
Le sanctuaire de La Mecque existait déjà probablement au deuxième siècle de notre ère. Tout autour s'établissait un vaste campement, s'étendant jusqu'aux collines avoisinantes (1). C'est à cet endroit qu'un ancêtre des principales tribus Qoraysh, Quçavy, fonda un vraie cité.
A l'origine, la Ka'ba de La Mecque aurait été le sanctuaire du dieu local Hobal (2), avant d'abriter d'autres idoles plus tard détruites. Il allait devenir exclusivement musulman en 632, à la mort du Prophète, soit en l'an 10 de l' Hégire (3).
Selon certains spécialistes (4) la Ka'ba ne devait être qu'une sorte de petite maison cubique, adjacente au puits Zem Zem. Une vénération spéciale était portée à une pierre noire semblable à ce genre de pierre que les Sémites adoraient, et que Maxime Rodinson assimile à un projectile météoritique. Pour ceux qui la vénèrent, cette pierre est la pierre de Dieu. Elle a été apportée du Paradis par Adam qui construisit lui-même la Ka'ba, sorte de gros cube de dix à quinze mètres de côté, restaurée par Abraham. Entre temps, Noë en avait fait 7 fois le tour avant de s'embarquer sur son arche de fortune
La Mecque au VIe siècle
Quand naît Mahomet (570), les citoyens de La Mecque vivent exclusivement du commerce fructueux favorisé par la situation de leur ville en bordure de la route des caravanes. Ils offrent aux voyageurs la possibilité de prier selon leur religion, grâce aux idoles et aux icônes exposées dans le sanctuaire. Ainsi, de multiples religions disposent-elles d'un lieu de culte. La ville n'aurait-elle été "sainte" que pour des raisons commerciales ? L'hypothèse est contestée (5). Le désir des Mecquois de maintenir l'idolâtrie à La Mecque ne relevait probablement pas du seul souci de maintenir le commerce. Car, pense-t-on, les cultes n'avaient pas une importance suffisante pour que leur suppression engendrât la ruine d'un négoce indépendant de la visite des nomades à la Ka'ba ou aux autres sanctuaires.
Les tribulations infligées à Mahomet par les Mecquois
Dès les premiers ralliements à ce nouveau mouvement religieux qui n'a pas encore de nom, les Qoraïchites qui gouvernent la cité s'inquiètent. Un peu plus de quatre ans après la première Révélation (610), le nombre des fidèles au monothéisme prêché par Mahomet se multiplie. Ils subissent alors les premières persécutions. Déjà, l'accès au sanctuaire de la Ka'ba est interdit à Mahomet qui passe outre malgré les lapidations dont il est victime. Ces événements déclenchent chez Mahomet la conscience de son identité de prophète. Sa religion est combattue et ses disciples poursuivis, traqués, expulsés de La Mecque en 616, par décret des Qoraïchites. Leur nombre s'accroît néanmoins de façon toujours plus inquiétante. Alors les Mecquois emploient les grands moyens. Dans le sanctuaire de la Ka'ba est affichée une ordonnance de mise hors la loi -une sahifa- contre ces nouveaux croyants. Plus aucun Mecquois ne doit avoir de relation avec l'un de ces nouveaux croyants. La tension est à son comble. Mahomet échappe à un complot. Il quitte La Mecque, rejoint Médine, au nord, le 16 juillet 622. Ce jour est désormais le premier jour du calendrier musulman, le premier jour anniversaire de la "migration" du Prophète, de l' Hégire —Hidjrah— qui veut dire "séparation", "rupture".
Installation à Médine
Quand la Mosquée de Qobâ fut construite, près de Médine où le père du Prophète a été enterré (6), elle le fut pour abriter tous ceux qui croyaient en un Dieu unique, pour les honafâ (7).
Les croyants de Médine, à l'origine, prient en direction de Jérusalem, la ville sainte des juifs et des chrétiens. Mahomet souhaitait initialement placer l'Islam au rang de ces deux grandes religions. Mais l'Islam n'allait-il pas souffrir de la confusion ?
Le statut de Prophète lui étant contesté par les juifs de Médine, Mahomet ordonne alors qu'on prie non plus tourné vers Jérusalem, mais vers La Mecque. La direction de la prière —la qibla— en est un élément essentiel. "Si l'Orient et l'Occident appartiennent à Dieu, de telle sorte que vers quelque lieu que se tournent les regards ils rencontrent la face de Dieu" (8) (...) "nous distinguerons (ainsi) ceux qui suivent l'Envoyé de Dieu de ceux qui retournent à l'infidélité" (9). "Où que vous soyez, tournez votre face dans la direction de la Mosquée Sacrée" (de La Mecque) (10).
Le choix de la qibla est décisif. L'Islam s'émancipe alors définitivement par rapport aux deux grandes religions révélées antérieurement. Les arabes sont désormais placés sur un pied d'égalité avec les peuples monothéistes les plus anciens. Mieux encore, la foi d'Abraham, le père tribal des arabes, le rénovateur du sanctuaire de La Mecque, qui avait établi une partie de sa descendance dans une vallée sans culture près du Temple Sacré (11), la foi d'Abraham est antérieure au judaïsme et au christianisme. L'Islam peut dès lors envisager d'englober ces deux religions et devenir ainsi la religion universelle.
De plus, les musulmans chassés de La Mecque, déchirés par la séparation de leur ville natale, trouvent dans la nouvelle qibla une manière de s'y réintégrer. La qibla devient essentielle à la pratique, à l'identité musulmane. "Doit être considéré comme musulman quiconque prononce la shahâda et prie tourné vers la Ka'ba de La Mecque"(12). En se tournant vers la Ka'ba de La Mecque pour chacune des prières canoniques, le croyant fait corps avec les fidèles intégrant les rites anté-islamiques du tawaf inscrits dans la tradition vivante, et obéissant désormais aux commandements inaugurant une nouvelle expression de la soumission à Dieu, tels que le Prophète lui-même les a exécutés.
Premier retour à La Mecque
En 628, alors que Mahomet s'est exilé à Médine six ans plus tôt, que désormais le mouvement a pris corps, les Qoraïchites vont jusqu'à lui interdire le pèlerinage de La Mecque pendant un an. Dédaignant cette interdiction, l'année suivante, Mahomet se porte à la tête de deux mille Musulmans, sans armes, pour accomplir le petit pèlerinage (13). Tous les Mecquois se réfugient sur les collines alentour. Ils attendent que les idoles qu'ils vénèrent déclenchent une catastrophe décimant les Musulmans. Leur attente est vaine. C'est le nom d' Allâh qu'ils entendent résonner dans leurs murs, par la voix du muezzin Bilal. Mahomet apparaît alors, montant une chamelle blanche. Il fait le tour du sanctuaire, y pénètre, en compagnie de ses disciples et de Bilal. C'est alors que le Prophète procède à la destruction des idoles (360, dit-on), à la dégradation des bas-reliefs et à l'effacement des fresques, à l'exception de celle qui représente la Vierge Marie et Jésus, ainsi qu'une autre représentant Abraham. "Je n'adore pas ce que vous adorez" dit Mahomet(14). Qu'adoraient les Mecquois ? Plus que des objets. La vénération d'un intercesseur traduit en effet la reconnaissance d'un être supérieur (15). Mahomet craint de voir Dieu réduit au niveau des "Banât Allâh" (filles de Dieu), donc des idoles. C'est ce qui aurait déterminé la réforme radicale entreprise par Mahomet (16). Les représentations des idoles figurant dans la Ka'ba ont été détruites par le Prophète afin que ce lieu soit un lieu de prières (17), la Maison Sacrée (18), édifiée pour adorer Allâh (19). Ainsi la Ka'ba est-elle devenue, aujourd'hui, symbole de l'unité du monde musulman, lieu de la grâce de Dieu, de son adoration, de la proclamation de son unité, et lieu enfin de l'amitié qui lie ceux qui le contemplent (20).
Leur destruction va dès lors manifester la souveraineté soudaine de Mahomet sur la cité de La Mecque et sur son culte. Le hajj (pèlerinage) et l'ensemble des cérémonies rituelles qui s'y rapportent -la 'omra-, n'ont plus pour objet les divinités : elles s'accomplissent désormais pour Allâh (21). Le sanctuaire devient exclusivement musulman en 631, soit près de dix ans après l' Hégire, et toute présence païenne est alors exclue lors du hajj de 632. Ce sanctuaire, considéré comme le premier établi sur la terre (22), doit être un asile pour les hommes où l'on revient souvent (23), en pèlerinage.
Les pratiques déjà en place à l'époque de Mahomet sont toujours en vigueur aujourd'hui. Le fidèle se rend en pèlerinage en état de jeûne, ayant respecté l'abstinence sexuelle, il est rasé et revêtu de l'habit d'une seule étoffe, l' iram. Arrivés à la Ka'ba les fidèles en font d'abord le tour, le "tawaf", puis ils s'agenouillent et prient.
Le dernier pèlerinage du Prophète à la Ka'ba
En 632, un an après qu'il ait interdit le pèlerinage de La Mecque aux païens, Mahomet revient vers la Ka'ba, suivi par des milliers de fidèles, et s'adresse à eux dans un sermon qui sera le "Sermon d'Adieu". Mahomet résume alors les droits et les devoirs des hommes en ce qu'on pourrait appeler le testament du Prophète.
Mahomet, qui doute de pouvoir revenir à la Ka'ba, prescrit la crainte de Dieu et engage à son obéissance, commençant ainsi par ce qui est fondamental. Il dicte ensuite les règles sociales et religieuses importantes qui détermineront la vie musulmane. Il incite à la fraternité. Il lègue enfin le Livre de Dieu comme référence à la conduite du peuple musulman. Ce sermon a tant marqué l'Islam que la grande fête des Musulmans -îd al-kabir- est aujourd'hui le jour anniversaire de ce pèlerinage d'Adieu ainsi magnifié.
Revenu à Médine, le Prophète s'y éteindra trois mois plus tard. C'est là qu'on l'enterre, revêtu de sa tunique, sans cercueil, selon la coutume arabe. Sa tête est posée de telle façon qu'elle regarde la Ka'ba de La Mecque.
Gérard LEROY, le 28 août 2008
- cf. W.Montgomery Watt, Mahomet à La Mecque, Payot, Paris 1977, p. 25.
- cf. Maxime Rodinson, Mahomet, Seuil, coll. Politique, pp. 62-63.
- Encyclopédie de l'Islam, art. "Ka'ba".
- cf. M. Rodinson, op. cit. p. 63.
- cf. W.M. Watt, op. cit.
- Médine s'appelait alors "Yatrib" ("ça fait mal"), après avoir été dénommée "Tabab Taïbah" ("elle est agréable"). Médine est la forme française de al-Madinâh, abréviation possible de Madinât an-Nabî, qui signifie "la ville du Prophète". cf. W.M. Watt, op. cit. pp 180-181.
- pluriel de hanîf qui signifie croyant (en un seul Dieu).
- Coran 2, 115.
- Coran 2, 143.
- Coran 2, 144.
- Coran 14, 40.
- Louis Gardet, L'Islam, Hier et demain, ed. Buchet Chastel, p. 39.
- selon les Annales de l'historien arabe du IXe siècle, Tabari.
- Coran 109.
- cf. W.M. Watt, op. cit. pp. 141-142.
- cf. W.M. Watt, op. cit. pp. 137 à 140.
- Coran 2,125.
- Coran 5,97.
- Il faut remonter aux racines sémitiques pour retrouver l'origine du mot Allâh. Correspondant au mot "El" utilisé en Palestine, "Il" en Assyrie, en Babylonie et en Arabie du Sud désigne la nature commune à tous les dieux. "Ilâh" signifie alors "divinité", et "al-Ilâh" "la divinité". Une transformation sémitique antérieure au 6ème siècle a donné "al-'lâh", signifiant "le dieu", puis "allâh", désignant dieu. Cette contraction de al-ilâh, synonyme du ho-théos des grecs, ne signifie pas simplement "le dieu", mais le "dieu suprême", autrement dit Dieu (cf. W.M. Watt, op. cit. p.51). Le dieu devenant Dieu par excellence prend alors une majuscule et se nomme "Allâh". Notons qu'en Palestine, "El" avait donné "Elohim", pluriel de majesté désignant le rassemblement de tous les dieux en Un seul : Dieu.
- cf. Encyc. Islam.
- Coran 2, 192 et cf. M. Rodinson, op. cit., p.321.
- Coran 5,97.
- Coran 2,125.