Pour Yves Giorello, en hommage amical,
Vers l'An Mil, nous sommes encore au temps où les notions de village et de paroisse sont confondues. Au point que souvent les habitants donnent à leur village le nom d’un saint sous la protection duquel ils placent leur communauté. D’une manière générale, l’organisation sociale de ces sociétés est étroitement liée au sacré. Le religieux et le profane se mêlent et se confondent, dans les rites d’initiation, dans les droits et les devoirs. On observe l'héritage des sociétés traditionnelles dans la fusion fréquente du temporel et du surnaturel
Le cimetière ne se situe jamais en dehors du bourg (burg, avec des fortifications) mais au centre. Il est enclos de murs, attenant à l’église. Les gens tiennent à être inhumés aussi près que possible de l’église. Le cimetière est une sorte de terre de repos protégée par Dieu, qu’entourent les vivants du village.
Au cœur du bourg, les commerçants et les artisans y tiennent boutique et vendent directement aux personnes intéressées leur production ou leur marchandise. Dès le Xe siècle les marchés se multiplient ainsi que les foires. Tout cela favorise le développement commercial que connaît le XIe siècle.
Les métiers
Contrairement aux idées reçues, la société médiévale possède un vaste réservoir de connaissances. Les hommes connaissent la nature, les propriétés de plantes, les mouvements des astres, les mœurs des animaux etc. Si ces connaissances n’ont pas le fondement théorique de la science, elles permettent cependant de prédire avec assez de certitude le temps qu'il fera d’après le vol des oiseaux ou les douleurs articulaires. Ces connaissances, qui ne constituent certes pas une science météorologique fondée théoriquement, sont de nature empirique. Elles sont l'effet d'une mémoire fragmentaire de faits répétés. Le vol des oiseaux est un de ces faits sur lesquels on se base pour prédire le temps à venir. C’est la tradition transmise depuis des générations qui est garante.
L'agriculture, au XIe siècle, est développée dans toute l'Europe. Les céréales constituent la base de l’agriculture. Labours, semailles et hersage sont simultanés pour enfouir les semences avant que la multitude des pies et des corbeaux s’en nourrisse. Les oiseaux sont un véritable fléau.
L’outillage de l’agriculteur est simple. La faux, munie d’un long manche, sert à couper le foin au ras du sol. La faucille, aiguisée à la pierre, sert à couper les épis de blés. Au XIe siècle il faut une heure pour couper 100 m2 de blé, alors qu’aujourd’hui la même surface est coupée en moins de cinq minutes avec une faucheuse-lieuse, et en un peu plus d'une minute avec une moissonneuse-batteuse. Le rendement de chaque épi de blé a été multiplié par dix depuis la fin du XIe siècle. C’est au moulin construit par le seigneur, appelé moulin banal, ou seigneurial, que les paysans portent leur blé à moudre.
L’animal de labour est le bœuf; le cheval, cinq à dix fois plus cher que le bœuf, a un rôle d’abord militaire, bien qu’il serve aussi au charrois, et dans la hersage.
L’élevage du mouton est important. Non seulement il fournit la chair, mais aussi la laine. Le lait de brebis sert à la fabrication du fromage.
Les troupeaux sont nourris d'herbes et de chaumes qui entrent dans la confection ou le renforcement des toits.
L’abattage des bêtes se fait à l’aide d’une masse, selon les besoins, dans la rue, devant les étals. Par mesure d’hygiène les bouchers sont regroupés en un quartier. Les bouchers, nom donné à l’origine aux vendeurs de viande de bouc ou de chèvre, sont riches, et volontiers meneurs de révoltes. À cause de cela ils sont mal aimés des nobles et des bourgeois. Les pâtissiers font des pâtés de viande, les poulaillers vendent des volailles, les “chairecuitiers” fabriquent et vendent des chaires cuites (1).
La production d'une manière générale est règlementée par les "jurandes", corporation de jurés qui protègent le producteur et le consommateur, favorisent les riches qui augmentent leurs privilèges économiques, sociaux, politiques, aux dépens du petit peuple amené peu à peu à se révolter.
La condition serve
Le servage ne s’exerce pas partout. Il est coutumier en Champagne, dans le Nivernais, la Sologne, le Berry et la Bourgogne. Le serf appartient au seigneur, de façon personnelle ou héréditaire. Le serf est non libre, à la différence du vilain, différence qui s’estompe vers la fin du XIIe siècle. Le seigneur dispose du corps de son serf, lequel est aussi appelé “homme de corps”. Libre au seigneur de l’affranchir. Grâce à la multiplication des affranchissement le servage disparaît vers la fin du moyen âge.
Les enseignes
La numérotation des boutiques ou des habitations est absente, et pour cause : l’analphabétisme est général et les gens ne sauraient pas la lire. Aussi les enseignes des artisans ou des commerçants présentent-elles un logo signifiant le métier. Chaque barbier arbore une enseigne avec quatre plats à barbe, tandis que l’enseigne de l’apothicaire est décorée d’un mortier en faïence.
En 1300, à Paris, un ouvrier gagne en moyenne 20 deniers par jour, soit 2 oboles, ce qui correspond à un peu plus d’1 sou et demi. Avec 1 sou il peut acheter un poulet, ou 1 kilo de lard. Un chevreau coûte 4 sous, et il faut en débourser 5 pour un cochon. La livre est l’unité de monnaie la plus élevée, et vaut 20 sous.
L’habitat dans le Macônnais des X et XIe siècle
Chaque maison est dotée d’une seule porte. Les petites ouvertures pratiquées sur les côtés sont des lucarnes, fermées avec des parchemins ou des volets, le verre étant trop coûteux. Seuls les hôtels cossus sont pourvus de fenêtres à petits carreaux losangés. Les gens aiment cependant agrémenter leurs maisons d’encorbellements. Si bien que de chaque côté de la rue, les passants peuvent être protégés de la pluie et du soleil.
La charpente des maisons est en bois, les clôtures en osier. Les murs à colombages sont en bois et en pisé (boue séchée). La pierre est un matériau réservé au château ou à l’église. L’intérieur est rudimentaire. Les meubles, en chêne, se résument à une table, un banc, une huche, une crédence où l’on range la vaisselle, un chandelier. La cheminée est l’élément essentiel de la maison. L’âtre est en pierre, comme le four. Alimentée de grosses bûches, la cheminée sert au chauffage, à l’éclairage et à la cuisine. La marmite est suspendue en permanence à la crémaillère.
Ni échafaudage ni machines pour la construction des maisons. Le travail est manuel; le transport des matériaux s’effectue à dos d’homme. Les outils principaux qui participent à la construction sont l’équerre, la pelle, l’échelle, la cognée, la scie, la truelle, et le marteau.
L’incendie est la menace constante qui pèse sur les maisons. Aussi a-t-on instauré le couvre-feu, qui consiste chaque soir à recouvrir de cendres les braises qui serviront le lendemain à rallumer le feu.
Les rues sont pavées. C’est à Philippe Auguste qu’on le doit, qui fit paver les rues de Paris, dès 1185, alors que le roi n’était âgé que de vingt ans. Un matin, ouvrant sa fenêtre du palais, il fut incommodé par l’odeur insoutenable que soulevait les charrois roulant dans le cloaque de la chaussée boueuse. Le nom donné aux rues est d’ailleurs suggestif : rues Tirepet, Merderais, de la Fosse-aux-chieurs etc. Philippe Auguste n’y tenant plus, commande immédiatement au prévôt d’améliiorer l'hygiène et l'état des rues. Celui-ci s'attaque alors à la réfection des deux grands axes de Paris. Ainsi la rue Saint-Jacques qui va du nord au sud, et les rues Saint-Antoine et Saint-Honoré qui vont d’Est en Ouest, sont les premières rues carrelées du royaume, avec d’énormes dalles de grès de plus d’un mètre de coté. Le pavé arrive un peu plus tard, et l’expression “rester sur le carreau” précéde celle “d’être sur le pavé”. Quant à l’expression “se tenir en haut du pavé”, qui date aussi de cette période, on la doit à l'initiative du prévôt de construire des rues aux plans inclinés se rejoignant en un caniveau central par où s’écoulent les eaux sales où pataugent les chiens et les porcs et que les gens "de qualité" évitent soigneusement. Pour ce faire, ils marchent près des murs, donc sur la partie surélevée de la voie. Le petit peuple s’approchait du caniveau quand il lui fallait céder le “haut du pavé” aux seigneurs et aux bourgeois.
Le manger au XIe siècle
Le repas se prend assis sur un banc. On pique avec un couteau les aliments déposés dans un plat. On les découpe au besoin sur un tranchoir, tranche de pain rassis qui sert d’assiette. Imbibée de sauce après la consommation de viande par les bourgeois, la tranche de pain rassis est déposée dans un pot à aumônes pour les pauvres.
Le pain de seigle est l’aliment de base. Sur la table des bourgeois abondent les morceaux de pains en boule (d’où le nom de “boulanger”). On consomme aussi ce qu’on appelle alors le “brodium”, potage qui a mijoté dans la marmite, avec de la viande, des oignons et des épices. On trempe les tranches de pain dans le potage, c’est ce qui s’appelle “tremper sa soupe”, expression qu’il nous arrive parfois d’entendre encore aujourd’hui dans certaines campagnes où l’on trempe du pain dans du vin chaud ou du lait.
La viande est rarement consommée, sinon le lard ou des têtes de bêtes tuées pour des seigneurs ou des marchands; ce qui est apprécié c’est la longe de porc ou de veau, et le gîte. Le poisson est consommé en aussi grande quantité que possible, principalement à cause des ordonnances de l’Eglise qui interdit tout aliment gras plus de cent quarante jours de l’année. Les Halles de Paris sont approvisionnées par des charrettes qui apportent en une nuit le poisson péché. La vente est très réglementée (2). Les légumes les plus prisés sont les courges, les concombres, les citrouilles, l'oignon, et l'oseille. On donne à l’ail des vertus médicinales contre l’épidémie. On mange quantité de fruits, identiques à ceux qui remplissent les coupes de fruits aujourd’hui, soit des poires, des pommes, des pêches, des cerises, du raisin, des prunes, des figues etc.
On boit naturellement du vin dans ce pays qui en fabrique. Les vignes sont attachées à des poteaux. Les ceps, de deux mètres, sont portés par des échalas, afin de les préserver du gel (surtout dans l’est). Les tonneaux de vin sont en chêne, les cerceaux sont en bois de châtaignier. Le vin, boisson populaire, boisson de fête des pauvres, l’ordinaire des riches, est aussi un précieux élément de la liturgie catholique et plus précisément du sacrement d’Eucharistie.
Pendant les vendanges, c’est aux femmes que revient de couper les grappes tandis que des chargeurs déversent ces grappes dans des paniers en osier placés sur des baquets qu’un âne porte sur son bât. Des “hotteurs”, robustes et mieux payés, portent les raisins déversés dans les hottes.
En milieu rural au XIe siècle
Les paysans sont habillés d’une cotte recouverte d’une blouse de grosse toile, ou d’un pourpoint. Cette tunique courte comme une veste est appelée “jaque”, d’où le nom de “Jacques” attribué aux paysans et de “jacqueries” qui désignera les révoltes des paysans, notamment celle de 1358. Les gens marchent nu-pieds. Ils dorment nus, demi-couchés, adossés à un oreiller, recouverts par un drap, une couverture et une couette. Leur lit est très haut, à baldaquin, entouré de rideaux fermés qui les protègent de l’humidité et les isolent du froid.
Gérard LEROY , le 2 mars 2009
- * (1) À la fin du Moyen-âge, la ville de Lyon, réunie au royaume de France en 1312, comptait 36 chairecuitiers, bouchers et épiciers. Dans le même temps on y dénombrait 24 taverniers, 48 tisserands, 44 poissonniers, 57 escoffiers (chausseurs), et quantité similaire de boulangers, de drapiers, ainsi que... 37 notaires.
- * (2) cf. Etienne Boileau, Le Livre des Métiers, L II, p. 18. E. Boileau était prévôt de Paris de 1261 à 1271.