Pour la fraternité Sainte Claire, l'essentiel de l'intervention du 17 avril 

   Le pape veut jeter “un regard différent, une pensée, une politique, un programme éducatif, et une spiritualité ”. Le ton n’est pas dramatique, mais l’état des lieux inquiète et plus encore le drame qui pourrait naître de l’indifférence générale. « tout n’est pas perdu » dit le texte, qui présente une analyse documentée, scientifique, et qui touche en profondeur nos vies, notre civilisation, nos modes d’agir.

I) État des lieux

L’encyclique fait l’inventaire (§ 46) : l’inégalité dans la consommation d’énergie ; l’augmentation de la violence ; la fragmentation sociale ; le réchauffement climatique et ses conséquences sur la production agricole dans des régions défavorisées. Le dérèglement climatique a créé de nouvelles zones de maladies jusqu’alors cantonnées aux zones tropicales. L’accès à l’eau des fleuves qui permettent l’irrigation entraîne les «guerres de l’eau». « l’eau disponible se détériore » ; « il y a, lit-on au §30, une tendance croissante à privatiser cette ressource limite, transformée en marchandise sujette aux lois du marché. Les pauvres n’ont pas accès à l’eau potable, c’est leur nier le droit à la vie ».

On en est arrivé à un tel déséquilibre qu’on est devant « l’impossibilité de maintenir le niveau actuel de consommation » (§ 10 et 27).

II) D’où cela vient-il ? Etiologie

Le développement économique et industriel a précipité l'humanité vers un cataclysme écologique planétaire. Le pape François décrit un monde défiguré, abîmé, exploité, pollué, opprimé, dévasté, bref un monde qui « gémit en travail d’enfantement » (Rm 8, 22). Quelles en sont les causes ? les comportements irresponsables, la quête de pouvoir, la toute-puissance de l’économie. Le §165 condamne carrément « cette humanité de l’époque post-industrielle qui sera peut-être considérée comme l’une des plus irresponsables de l’histoire ». Dans cette société emportée par l’hégémonie de l’économie, les politiques ne sont plus que les greffiers de décisions prises en dehors de leur champ. D’autre part, nous sommes aujourd'hui les héritiers de deux siècles d’énormes vagues de changement (n°102) : Hier, dans les années 50, un village ne se modifiait pas d’une pierre pendant des décennies. Le bourg entourait son église, qui sonnait immanquablement la messe tous les dimanches à la même heure. Tous les gosses allaient au “caté”. Les institutions étaient figées. Et les valeurs s’inscrivaient dans le registre de l’évidence.

Soudain, tout a été chamboulé. Sont arrivés le tracteur, l’auto populaire, la télévision,

l’informatique. La médecine fait reculer la tuberculose et la polio et réalise les premières transplantations cardiaques. On s’envole vers la lune. Les algorithmes annoncent aujourd’hui l’intelligence artificielle.

Dans les années 50-60 tout bouge. La culture bouge. Le jazz arrive, la chanson explose, le ciné déshabille Bardot, le théâtre met en scène tous les penseurs de l’absurde. En même temps commence à éclore la civilisation des loisirs, qui marque l’avènement d’une société boulimique qui éprouve de moins en moins le désir patient d’être et qui manifeste de plus en plus le besoin impatient d’avoir, de consommer et de jouir. Pour combler nos désirs, nous en sommes arrivés à un sur-développement. Surconsommation et gaspillage vont de pair avec l’individualisme croissant.

« En somme, si l’homme peut disposer de mécanismes futiles ou utiles, il lui manque une éthique solide, une culture et une spiritualité » (§105) une spiritualité qui reconnaît l’existence d’un monde au-delà du monde de la conscience, garant du sens de l’existence du monde de l’expérience. « Depuis très longtemps déjà, nous sommes dans la dégradation morale, en nous moquant de l’éthique, de la bonté, de la foi, de l’honnêteté ». Cette « joyeuse superficialité », est dénoncée au n°229.

La crise financière de 2008 n’a rien changé. On continue de gérer le monde des affaires pareillement. La politique elle-même s’affaiblit, se discrédite, à cause des corruptions, des outrances. Les bonnes volontés se découragent quand la volonté individuelle ne croise pas la cohérence collective. En somme, les dynamiques présentes « ne favorisent pas le développement d’une capacité de vivre avec sagesse, de penser en profondeur, d’aimer avec générosité » (n°47). Le pape fait cependant confiance à l’homme. « Tout n’est pas perdu, écrit-il (n° 205), parce que les êtres humains peuvent aussi opter pour le bien et se régénérer, au-delà de tous les conditionnements qu’on leur impose ».

III) Précautions, Orientations, Recommandations

Les conséquences du réchauffement climatique posent question. Comment l’agriculture et la forêt peuvent-elles aider à réduire les émissions de GES. ? Ces émissions dont 15 pays sont responsables à 70%. Face aux discours apocalyptiques, il nous faut savoir porter celui de l’espérance, celui de l’innovation, de la solidarité et j’ajoute celui de la responsabilité.

Quelles orientations propose le pape ? Il les établit autour de 3 thèmes : le paradigme technique, le paradigme financier, et la sensibilisation de la culture pour combler les insuffisances de la politique.

1) Du point de vue technique l’homme devient un fonctionnaire esclave de la technique. Ce faisant « nous sommes dans l’oubli de l’être. » (M.Heidegger). Nous n’avons plus aujourd’hui qu’un rapport instrumental, technique. Le pape invite à un changement de vision et d’attitude, lié à une conversion spirituelle. La crise actuelle est corrélée par le positivisme et le pélagianisme, la crise est morale et spirituelle. Toute une vision de l’homme et du monde est à corriger. Les sciences et les techniques sont des alliées, mais à prendre dans leur dimension d’humanisation potentielle. Il nous faut penser l’homme comme co-partenaire d’un monde qui ne se fera pas sans lui, jamais sans son désir, sans ses espérances, sans ses aspirations.

Tout ce que vit l’homme, sa spiritualité, ses amours, ses craintes, ses projets, son passé, tout cela échappe aux calculs de la science. Notre génie humain, qui a tant fait ses preuves au niveau technologique, est toujours aussi incapable de résoudre la violence, les guerres, la pauvreté.

2) Autre domaine visé, le paradigme financier. n°194 : « Le discours de la croissance (...) enferme les valeurs du discours écologique dans la logique des finances ; la responsabilité sociale et environnementale des entreprises se réduit à une série d’actions de marketing ». Le rejet de l'idéologie de progrès illimité du XVIIe s., cultivée au XIXe, a été exprimé au Sommet de la Terre de Rio, en 1992.

3) La culture doit combler la dynamique politique qui ne semble pas suffisante à résoudre les problèmes environnementaux. « L’accumulation d’objets ou de plaisirs, ne suffit pas à donner un sens ni de la joie au cœur humain » (n°209).

Pour ma part je suis enclin à croire que le monde de demain s’articulera autour d’une société moins mercantile, moins soumise à la compétition, moins cupide, et que nous nous poserons la question de ce qui rend heureux, découvrant que les plus beaux moments d'une vie auxquels renvoie notre mémoire le sont à cause de moments d’amour, ou d’amitié. On est traversé par des coups de cœur, des coups de foudre, on s’émeut à la naissance d'un enfant, de la guérison d’un proche, on se réjouit de l’accomplissement artistique ou professionnel, de la réussite sportive. Ça n’est jamais une satisfaction matérielle, liée à l'argent. Le jour viendra où l’on s’apercevra que rien ne vaut le moment partagé avec un ami autour d’une tranche de saucisson et d’un bon verre de vin.

La situation présente requiert une réparation en direction de la coexistence harmonieuse de la “maison commune”. Il nous faut prendre « conscience d’une origine commune, d’une appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par tous » dit le n°202. Il nous faut abandonner l’ivresse du pouvoir, accepter l’apprentissage d’une certaine démaîtrise. Nous ne sommes pas maîtres du sens, seulement ses questionneurs. Nous avons à construire un monde où l’on érige des ponts qui unissent, où les ressources servent au bien de tous, où les générations à venir ne sont pas sacrifiées, où les pauvres ne servent pas de dépotoirs aux riches, où l’homme reste à sa place sans briguer celle du ciel. Il faut « essayer de lire la réalité avec une clé trinitaire » (n° 239 )Ce qu’il faut retenir des orientations à suivre, c’est la réhabilitation de la prévalence du bien commun ( n° 157 & 196) (…) « La grandeur politique se révèle précisément » (n° 178) « quand on œuvre en pensant au bien commun à long terme ».

Conclusion

Le chantier convoque la responsabilité de tous. Il nous faut retrousser les manches, passer de la soumission passive à la responsabilité de notre histoire. L’homme est responsable, le croyant en tant que co-partenaire de Dieu dans le dessein qu’il a pour le monde, qui ne peut s’accomplir ni sans Dieu ni sans l’homme.

Les Français, éprouvent une difficulté avec la responsabilité, à cause de leur tendance à reporter leur responsabilité vers l’État qu’on a chargé de tout administrer. Régis Debray dénonce notre soumission à un « arboretum », qui dicte du sommet et ignore le forum. Tocqueville notait déjà qu’en Amérique : « Le gouvernement étend son bras sur la Société tout entière, la couvre d’un monceau de petites règles compliquées et minutieuses, devant lesquelles les esprits les plus fins et les âmes les plus vigoureuses sont étouffées. » L’encyclique convoque notre responsabilité. Elle re-stimule la foi en l’homme.

Le « far west » était un modèle-phare, l’Est promettait le grand soir. Tout s’est effondré en 1989, pour faire place à l’angoisse, l’absence de tout projet, l’incertitude devant un futur à construire. Comment prévenir les effets pervers de nos progrès ? Comment faire que la terre soit encore habitable par les générations futures ?

Face à un chaos écologique, une théologie de la création est urgente. Les monothéismes partagent la même foi au Dieu créateur avec la certitude que le Dessein de Dieu c’est la réussite de l’accomplissement de la vocation de l’homme comme intendant du monde qui lui a été confié. Nous sommes engagés à protéger le monde, à regarder l’histoire comme aventure à anticiper, à faire l'histoire dans la perspective d’un processus d’humanisation. En redonnant le primat à la justice sur la liberté, en veillant aux excès de la mondialisation, en reconsidérant nos manières de vivre et travailler, en relativisant nos envies de vacances au bout du monde                                   

Le pape François nous responsabilise : « Un traine-misère désœuvré est-il un obstacle sur mon chemin ? Ce problème doit-il être résolu par les responsables politiques ? » Il rétorque : « Cette pauvreté d’esprit est étroitement liée à la “sainte indifférence” vis-à-vis de tous les êtres créés », « dotés de la même dignité que moi ». C’est en effet un devoir de justice de se pencher sur lui.

 

Gérard Leroy, le 25 avril 2023