Service de presse du Patriarche de Moscou
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Monsieur Vladimir Mikhaïlovich Goundiaïev
Monsieur le Patriarche Kyrill,
Qu’est-ce qui permet à l’occidental que je suis de s’adresser à l’oriental que vous êtes ? La foi en Jésus-Christ, qui nous rassemble, qui est mort pour vous et pour moi, et qui est ressuscité. Avouez que cette affaire invraisemblable n’est pas une mince affaire. C’est celle à laquelle nous croyons, vous et moi.
Il se trouve que le peuple chrétien, en France, se demande qui vous êtes Monsieur le Patriarche. On vous connaît comme intellectuel forgé par des œuvres que vous avez traduites, de Karl Rahner et d’Urs von Balthasar. On vous sait autoritaire et parfois coléreux. L’on sait encore grâce aux archives du KGB que vous avez eu une carrière d’espion, au point d’être repéré par les services secrets français en 1979 et interdit de séjour. Vous faisiez parler de vous dans les années 80, au sein de la section française de la Conférence Mondiale des Religions pour la Paix dont j’étais le secrétaire national.
Comme autorité vous voulez faire renaître la Russie. C’est l’objectif du Conseil mondial du peuple russe que vous avez créé en 1993. Ce faisant vous subordonneriez la foi aux intérêts nationaux. C’est en tout cas ce que prétendent vos coreligionnaires en vous accusant de phylétisme. L’agression menée contre l’Ukraine serait, dites-vous, un acte de résistance au consumérisme occidental. Comme vous y allez, vous qui aimez pratiquer le ski en Suisse et collectionnez les grosses cylindrées et vous établissez dans 5 résidences.
Venons-en à votre Église. Comment une nation dont la majorité embrasse le christianisme orthodoxe peut-elle justifier l’invasion et la tuerie des habitants d'une nation sœur, partageant la même foi ? Comment des chrétiens orthodoxes peuvent-ils déchaîner la violence et l'effusion de sang contre leurs frères et sœurs en Christ ?
Quand en 2014, vous annonciez la Sainte Rus’ comme civilisation russe transnationale, englobant la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie, vous preniez comme argutie le baptême du prince de Kiev, au Xe siècle, en communion avec le Patriarcat de Constantinople. Vous passiez outre les grands jalons de votre histoire, le schisme de 1054, qui rassemblait l’orthodoxie en 5 pays, la décision du patriarcat de Moscou en 1686 de placer l’Ukraine sous la juridiction de Constantinople, qui annulait ce même décret en 2018 et reconnaissait l’Église orthodoxe d’Ukraine autocéphale, dont le métropolite Iepifani est reconnu par le patriarche Bartholoméos de Constantinople que vous déclariez apostat. Pour le remplacer ? Vous pensiez, en 2014, que Moscou pouvait être centre politique, et Kiev, un centre spirituel commun. Vous révéliez là votre propre fascisme avec le projet d’une culture commune, face à cet Occident qu’il faut salir pour mieux vous justifier.
Quelle preuve avez-vous, Monsieur, pour prétendre que Moscou est la pierre angulaire de l'Église orthodoxe ? Qu’est-ce que l’Église sinon celle de l'Évangile de Jésus-Christ, des Apôtres, définie par les grands conciles et proclamée par les Pères de l’Église ?
Vous prêchez maladroitement la nécessité de la paix, rappelant effrontément la nature fraternelle des peuples ukrainien et russe dans le cadre de la « Sainte Rus’ ». Le Russkii mir ou « Monde russe » fournit à W. Poutine le motif religieux qui sous-tend son projet abject. L’idéologie du « Monde russe » serait-elle basée sur les fake news de son histoire pour être destructrice, sanguinaire, provoquant ipso facto la division dans l’Église ? La vôtre. Pour la paix du monde entier, la stabilité des saintes églises de Dieu, et l'unité de tous, reportez-vous à la Divine Liturgie et priez, plutôt que de vous enfermer dans un intégrisme religieux ethno-phylétiste totalitaire.
L’ignoble barbarie à grande échelle que mène votre président, sans souci des innocents que vous massacrez, n'est pas une « opération militaire spéciale », une crise ou un conflit. Ça s’appelle une invasion militaire. Avec ses morts. Avec l’exil.
Célébrant la Passion du Christ dans quelques jours, vous ré-entendrez ses paroles : « Mon royaume n'est pas de ce monde » (Jn 18, 36) Le royaume que vous prêchez n'est pas d'ici. Ce Royaume est de justice et de paix. Voulez-vous, Monsieur, remplacer le Royaume de Dieu ? Voulez-vous le subordonner aux idoles de ce monde cherchant d'autres seigneurs ? Voulez-vous déifier l’état ? Voulez-vous encourager la division, la méfiance, la haine et la violence entre les peuples, les religions, les confessions, les nations ou les états ?
Qu’est-ce qui motive les acteurs de cette horrible invasion ? Car il faut appeler les choses par leur nom. Et leur nom est donné à la vue des reportages que vous cachez et que je reçois. Me revient l’adage selon lequel l’homme est un animal intelligent. S’érige ici cette dichotomie de l’animalité et de la bestialité. La bête que l’on voit, rageuse, indécrottable dans sa détermination n’est pas l’animal. Sa bestialité signe la chute de l’animalité. La bête brute, rongée par l’esprit de vengeance né dans les années 90, s’est métamorphosée. Monsieur Poutine est passé de l’animal à la bête.
Je vous invite un instant à nous arrêter ici sur la question du mal. Je vous invite à déceler sa racine. Nous demeurons des phénomènes limités, en quête d’un vouloir-être par-delà notre immédiateté quotidienne. L’approche ontologique du mal n’est-elle pas liée à la finitude, moins pour l’assumer que par désir intense et profond de la dépasser. À vouloir transcender notre nature nous traduisons le désir de perfection qui nous manque et qui nous habite. Nous voulons atteindre l’infini. C’est en voulant se faire Prométhée que le dictateur naît. « Vous serez comme des dieux » (Gn 3,5), entend l’oreille de V. Poutine. L’image de la finitude en l’homme, qui différencie l’homme, est jetée aux orties. Elle vous gêne cette « image de Dieu » qu’a pourtant pour projet Yahvé (Gn 1,27). Comme si cela ne vous suffisait pas…
L’anthropologie qui s’appuie sur la « limitation » ou celle du « désir de Dieu » héritée d’un Blondel ou d’un Ricœur, laisse une porte ouverte sur celle de la « limite » soulignée par le « souci » de Heidegger, ou « l’horizon bouché de l’existence ». Le mal ne se tient pas comme en creux dans la finitude qui appelle la bête à la dépasser, le fou prométhéen à s’en exempter. Le mal remplit notre existence. Il nous fait mal plutôt qu’il n’est. D’où la « faculté du mal moral » que sème le gouvernant russe. Ce mal que vous faites révèle ce que Ricœur synthétisait sous le mot de « faillibilité ». C’est ce que révèlent votre président et ceux qui le soutiennent.
En union avec vous, mon frère Kyrill en Christ, je partage notre communion Eucharistique, qui a pour vocation de faire entrer l’homme toujours davantage dans son état d’être-homme créé pour devenir humain. Laissons-nous aller, Monsieur le Patriarche, à l’ivresse du divin, l’ivresse d’un manger et d’un boire capables de nous transformer de part en part, « pour que nous ayons la vie » (Jn 10, 10). Qui est la vie ? (Jn 14, 6).
Le 1er avril 2022
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