L’incinération est une pratique qui séduit de plus en plus de nos concitoyens et qui marque un changement culturel notable en quête de rituels.

Parmi les nombreuses coutumes funéraires dont témoigne l’histoire de l’humanité, la crémation ou l’incinération (du latin cinis, cendre) n’a pas de profonde racine culturelle dans notre Occident judéo-chrétien... sauf à remonter à l’antiquité romaine ! Continuant la coutume d’Israël, le christianisme a en effet imposé l’inhumation comme unique pratique funéraire pendant de longs siècles : d’abord dans les catacombes, au temps des persécutions, puis, une fois le christianisme devenu religion officielle, dans les églises et les cimetières paroissiaux.

Les rites funéraires chez nos ancêtres

Les Gaulois croient en la
 survie de l'âme et à la nécessité d'accomplir certains rites pour le 
repos du défunt et la purification des vivants. D'autre part, on 
redoute la vengeance des défunts si on néglige les rites
 funéraires. Deux modes de sépultures sont alors pratiqués, l'incinération 
domine du Ier siècle au IIIème siècle, avant que l'inhumation en vienne à s'imposer.

Lors
 de l'incinération, le corps est brûlé dans une fosse ou sur un 
bûcher. Les cendres sont triées et lavées avant d'être rassemblées
 dans une urne en terre cuite, en verre, en métal ou en pierre. On prend soin de proteger l'urne par un 
coffre en pierre ou en plomb.

Alors que pour l'inhumation, 
le corps est déposé dans une fosse ou enfermé dans un cercueil en 
bois, en pierre ou en plomb. Il n'y a pas, en Gaule, de grandes sépultures
 collectives comme en Italie. Les Gaulois préfèrent une demeure
 individuelle. Les propriétaires ruraux se font enterrer dans leur 
domaine, les citadins achètent un terrain, le long des routes, à la
 sortie des villes (les sépultures sont toujours situées en-dehors des
 agglomérations). Les pauvres s'associent en collegia pour s'assurer 
mutuellement le cippe (petite stèle funéraire votive) et le coin de 
terre convenables. Incinéré ou inhumé, le mort est souvent accompagné
 d'un mobilier funéraire (objets personnels ou religieux) et d'offrandes
 alimentaires. En surface, la tombe est signalée par un monument qui
 dépend de la richesse du défunt : un pieu, une pierre, une stèle, un
 autel, un mausolée orné de statues... Une inscription latine peut 
indiquer le nom du mort, son âge, sa profession, ses titres... Parfois des 
symboles, tels que le croissant de lune, l' ascia (herminette), ou d'autres représentations de
 divinités, sont posés là pour protèger parfois le défunt.

Charlemagne interdit 
l'incinération des défunts alors que l'Eglise n’a pas légiféré sur le 
sujet. Saint Augustin lui-même considérait que toute pratique funéraire
 était valable, car Dieu saurait parfaitement reconstituer les corps le
 jour de la Résurrection de la chair. Mais puisque l'incinération est 
une pratique saxonne, Charlemagne la juge sacrilège. Les tertres où 
l'on dépose les cendres des défunts sont tenus pour des lieux
 démoniaques, et ils doivent être abandonnés au profit des cimetières 
chrétiens ! Le paganisme saxon ne résiste pas à cet assaut 
législatif. Les comtes francs font impitoyablement appliquer la loi en 
terrain conquis, et les évêques peuvent alors, selon ces arguments, imposer la nouvelle 
religion (1) .

Aujourd'hui.

Les promoteurs de la crémation se heurtent encore parfois en France non 
seulement aux résistances des communes (si l’on ouvre un site cinéraire 
dans un cimetière, comment le concevoir et que privilégier : le
 minéral ? ... l’espace vert ?), mais aussi au désarroi des proches (que
 faire pendant la crémation ? que faire des cendres du défunt ?) et à 
l’opposition des divers ministres des cultes. Les Pompes Funèbres 
acquièrent depuis peu l’expérience qui découle de cette demande, en 
proposant de nouveaux produits, tels ces "urnes thalassa" solubles, 
spécialement prévues pour la dispersion des cendres en mer !

Quelques chiffres ... À la fin du siècle dernier, l’incinération s’est développée en Europe selon les pays et les traditions religieuses. On comptait au début du XXIe s. 71% de crémations en Grande-Bretagne, 63% en Suisse et en Suède, et seulement 4,7% en Espagne et 1,5% en Italie ! En France, légalement permise depuis 1889, cette pratique touche actuellement près de 15% de nos concitoyens, et pourrait atteindre 25 à 30% en 2010.

Les raisons en faveur de l’incinération sont d’ordre philosophico-religieux (cf. l'anticléricalisme), économique (l’incinération serait moins coûteuse, l’entretien d’une tombe évité), écologique (la crémation permettrait de réduire l’emprise au sol des cimetières), juridique (le code pénal impose les voeux du défunt). Le présupposé philosophique minimise l’importance du corps, n’en faisant qu’une enveloppe périssable. Un tel présupposé s’associe aisément à la croyance en la réincarnation, qui, elle aussi, a le vent en poupe ! La mode étant d’ailleurs à l’exotisme culturel et à une certaine forme de syncrétisme religieux, certains s’imaginent pouvoir aisément emprunter à l’Orient sa symbolique du feu.

L’incinération s’inscrit dans ce vaste processus de dénégation de la réalité de la mort qui caractérise notre société : à défaut d’avoir la maîtrise de la mort, on voudrait du moins pouvoir s’en donner l’illusion en programmant la disparition du corps et en effaçant au plus vite les traces du passage dans l'inconnu ! Fréquent chez les malades du sida, ce souhait de la crémation semble correspondre à une tragique fuite en avant dans la désespérance : aller jusqu’au bout de la détérioration de son corps et de sa solitude !

Les rites en l’Europe aujourd’hui

Dans les pays catholiques, l'enterrement est un évènement important et les cimetières sont très décorés. En Italie, les rites funéraires ont un côté ostensible. Dans les cimetières des grandes villes, l'art funéraire s'y épanouit, à grand renfort de marbre et de pierres monumentales. En Italie et en Espagne, les mises en tombes sont souvent des mises en niches surélevées. En Autriche, les cimetières se distinguent par une décoration abondante, parfois somptueuse, des tombes. En Irlande, l'enterrement est un événement social très suivi qui obéit à des traditions strictes.

Dans les pays protestants, l'enterrement, tout comme le cimetière, tendent a perdre de leur importance. Au Danemark, c'est la simplification extrême. Dans 90 % des cas, même la cérémonie a disparu. Le corps est emporté au crématorium, accompagné ou non d'un parent. En Allemagne, il est interdit d'ériger des monuments funéraires et des caveaux; dans de très nombreux cimetières, la dalle mortuaire ne doit recouvrir que la moitié de la tombe, l'autre moitié étant aménagée en plantations.

Incinération et religion en Europe en 2004

Même si elle reconnaît une préférence pour l'inhumation, depuis 1963 l'Eglise Catholique admet l'incinération, la crémation devant avoir lieu après le passage à l'église. Notons que l'Eglise Catholique n'est pas favorable à la conservation des cendres dans une urne chez soi, ni à sa dispersion.


La religion juive condamne l’incinération. Il en va de même pour l’Islam et pour l’Orthodoxie chrétienne, au nom du respect dû à l’intégrité du corps.

Dans les pays protestants, et surtout depuis la fin du XVIIIe siècle, l'incinération est courante. En Suisse, près de 75% des défunts sont incinérés, presque autant en Grande Bretagne, au Danemark, et en Suède. Aux Pays-Bas, près de la moitié des personnes émettent la volonté d’être incinérées, 40% en Allemagne, 30% en Norvège et un peu plus de 20% en Finlande. Les taux sont plus élevés dans les villes que dans les campagnes. Ainsi, au Danemark, le taux de défunts incinérés atteint 90 % à Copenhague.

Dans les pays catholiques, la pratique est beaucoup moins courante. 12% des Espagnols ont recours à la crémation, 6% d’Italiens les suivent, 2% seulement de Portugais.

La Grèce étant à majorité orthodoxe, il n'y a pas d'incinération.

 En 2004, 24%  des Français avaient choisi l'incinération. Il probable qu’aujourd’hui le taux soit plus élevé.

Les rites hindouistes aux Antilles

Les hindouistes croient en la réincarnation de l'âme; ils ont une approche spécifique de la mort considérée comme une transition facilitée par l'incinération du cadavre. Des témoignages recueillis, il ressort qu'au début de l'immigration, certains hindouistes ont tenté la pratique de l'incinération. Mais face à l'offensive du catholicisme et aux exigences de l'économie de plantation, ils durent renoncer très vite et accepter d'enterrer leurs morts. Ils réussissent cependant à conserver quelques pratiques, dont certaines ont tendance à disparaître.

Les anciens racontent qu'autrefois, avant d'enlever le corps de la maison, le cercueil était encensé et les membres de la famille répandaient tout autour du riz mélangé à des pétales de fleurs, à du safran et à des pièces de monnaie. Au cours de la procession conduisant au cimetière, l'on continuait à répandre le riz pour empêcher à l'âme du défunt, disait-on, de revenir au domicile (2).

Le point de vue de l’Eglise catholique

Après avoir vigoureusement condamné un rite funéraire considéré comme un défi lancé à la doctrine chrétienne, le jugement de l’Eglise catholique s’est fait plus nuancé depuis un décret du Saint-Office du 8 mai 1963 (auparavant, étaient privés de la sépulture religieuse ceux qui avaient demandé que leur corps fût livré à la crémation !). Aujourd’hui l’Eglise réaffirme sa préférence traditionnelle pour l’enterrement des morts, mais ne prononce plus de condamnation envers la crémation :

- "L’Eglise recommande vivement que soit conservée la pieuse coutume d’ensevelir les corps des défunts ; cependant, elle n’interdit pas l’incinération, à moins que celle-ci n’ait été choisie pour des raisons contraires à la doctrine chrétienne." [Code de Droit Canonique, c. 1176 §3]

- "Les corps des défunts doivent être traités avec respect et charité dans la foi et l’espérance de la résurrection. L’ensevelissement des morts est une oeuvre de miséricorde corporelle ; elle honore les enfants de Dieu, temples de l’Esprit Saint." [Catéchisme de l’Eglise catholique, no. 2300]

- "L’Eglise permet l’incinération si celle-ci ne manifeste pas une mise en cause de la foi dans la résurrection des corps." [Catéchisme de l’Eglise catholique, no. 2301 §2]

Le Rituel romain des funérailles, paru après le concile Vatican II, rappelle la raison essentielle de cette préférence traditionnelle pour l’inhumation : l’imitation de Jésus jusque dans sa mort et sa mise au tombeau [Jn 20:40-42]. Le credo reconnaît que Jésus "a été enseveli..." Mais que penser de l’image biblique de la création de l’homme à partir de la poussière du sol [Gn 2:7 et Gn 3:19] ?

Les funérailles chrétiennes sont célébrées à l’église (avant l’incinération ou la mise en terre). La situation allemande, avec la possibilité d’une célébration liturgique au moment de la déposition de l’urne au cimetière, correspond à une autre pratique, dans laquelle le corps ne passe pas par l’église. Le corps est soustrait aux regards (dans la fosse ou derrière le rideau du salon de cérémonie dans le crématorium). 
L’Eglise, tout en indiquant sa préférence pour l’inhumation traditionnelle, laisse les personnes et les familles libres du choix entre inhumation ou crémation.

La préoccupation altruiste de ne pas être une charge pour ses proches après sa mort, montre les limites des bons sentiments. Car elle évacue la dimension sociale (et ecclésiale) de toute existence humaine, en faisant de chaque individu le seul juge de la fécondité de sa vie et du souvenir qui mérite ou non d’en être conservé. Ce souhait, prive en fait les proches d’un lieu identifiable pour le travail de la mémoire et du deuil. Il y a une bonne part de naïf romantisme dans l’image des cendres emportées par le vent ou les flots ! L’Église catholique souscrit volontiers aux propos de la sociologue Danièle Hervieu-Léger et à ceux du psychanalyste Michel Hanus. L’Eglise catholique entend rappeler quelques convictions fortes concernant l’éminente dignité du corps humain même après la mort, l’importance dans l’anthropologie chrétienne des médiations du corps et du temps, la dimension sociale (et ecclésiale) de toute existence humaine et, partant, de toute mort d’homme. Ce faisant, elle invite chacun à réfléchir aux conséquences de ses choix en matière de rite funéraire, pour ses proches et, à plus long terme, pour la société.


 

Gérard LEROY, le 13 novembre 2008

•    (1) Bruno Dumézil, Conversion et Liberté dans les royaumes barbares. Ve-VIIIe siècles, Fayard, 2005.
•    (2) Ernest Moutoussamy, A la recherche de l’Inde perdue, Ed. L’Harmattan, 2004

 


    Pour une meilleure connaissance de la question on peut consulter
•      Philippe ARIèS, L’homme devant sa mort, Paris, Seuil, 1977
•      Ines LOTZIKA, Incinération : malaise pour un dernier adieu, dans Etudes, décembre 1985, pp. 657-662
•      Jean-Louis ANGUÉ, Incinération et rituel des funérailles, dans Etudes, décembre 1985, pp. 663-676
•      Conférence des évêques d’Allemagne : Les pratiques funéraires et l’accompagnement des personnes en deuil, La Documentation Catholique no. 2126 en date du 19 novembre 1995
•      Danièle HERVIEU-LÉGER, La crémation en quête de rites, dans La Croix du 29/03/96
•      Concile de Trente, 25 ème session, Décret sur le purgatoire (4 décembre 1563)
•      Cérémonial d'une Messe de Requiem, de l'Absoute et de l'Inhumation,  selon le rite de St Pie V   
•      Code de droit canonique de 1983 sur les funérailles ecclésiastiques  (canons 1176 - 1185)
•      Catéchisme de l'Église catholique (1992), première partie, article 11 : Je crois à la résurrection et à la vie éternelle §988-1060
•      Catéchisme de l'Église catholique (1992), deuxième partie, Les funérailles chrétiennes,  §1680-1690 1
•     "Passage" Le journal d’information du groupe PFG-Roblot, no. 1 (janvier 1996) et no. 2 (automne 1996)