Merci à Jean-Claude Guillebaud de nous autoriser à publier ici ce commentaire d'un ouvrage si utile à tous les chrétiens animés de la passion de Dieu et de la passion de l'homme

   Des livres sont posés telles des lampes à huile dans l’obscurité médiatique.

En ces temps de doute, d’invectives et de déréliction, certains livres sont à mettre à part. Ils ne procèdent pas du « tout- venant ». Ils sont un peu comme des réservoirs de silence, posés comme des lampes à huile dans l’aveuglante obscurité médiatique. Je suis plongé depuis plusieurs jours dans un livre si riche, si apaisant, que j’avance dans ces pages avec une lenteur volontaire. Son auteur, le dominicain Claude Geffré, est l’un des grands théologiens français de ce temps. Sa liberté d’esprit a eu parfois maille à partir avec le Vatican. Mais si sa parole est libre et ses textes, érudits, sa ferveur est communicative.


Sous le titre le Christianisme comme religion de l’Évangile (Cerf), il rassemble des textes jusqu’ici dispersés dans des revues confidentielles ou des livres collectifs, donc peu accessibles. Leur lecture « panoramique » se révèle passionnante, car ces articles se rapportent, de façon non polémique, aux questions les plus querelleuses.


Du relativisme à la violence sacrée ; du pluralisme religieux à la ­pertinence évangélique ; de ­­nos rapports à l’islam ou au bouddhisme ; des liens entre foi et connaissance : sur toutes ces questions, Geffré dénoue des contradictions, ouvre des issues dans des débats médiatiques qui semblent désespérément fermés. Le lire, c’est déjà respirer mieux.


Je prendrai un seul exemple. Nous butons aujourd’hui sur un cruel paradoxe : si le pluralisme religieux est, depuis Vatican II, une réalité de fait et de principe, alors que nous reste-t-il à dire – et à vivre – de la « différence » chrétienne ? Nul ne prétend plus, comme jadis, que le christianisme, seule vraie religion, gagnera la Terre entière et effacera les autres traditions. Nous avons pareillement renoncé à la théologie de l’accomplissement qui consentait à discerner des valeurs « implicitement ­chrétiennes » dans les autres croyances, valeurs que seul le christianisme pouvait accomplir.


Il nous reste à éclairer cette énigme : si les autres grandes religions méritent d’être respectées et reconnues, alors comment définir le christianisme ? En quoi est-il autre ? Si j’ai réellement la foi, alors je ne puis relativiser le message évangélique, mais comment privilégier « mon » christianisme sans dédaigner de facto les autres cultes ? C’est cette question de la singularité chrétienne qui fut, depuis qu’il écrit, l’objet privilégié de la recherche de Claude Geffré. Il n’est pas de question plus actuelle, plus urgente, plus brûlante.


Convaincu que, comme « religion de l’Évangile », le christianisme est « autre », Geffré écrit cependant : « Je puis adhérer dans la foi au message de ma tradition religieuse, tout en reconnaissant que ma vérité n’est ni exclusive, ni même inclusive de tout autre vérité d’ordre religieux. » Est-il message plus chrétien ?

 

Jean-Claude Guillebaud, le 25 janvier 2013