En partage avec tous, cette homélie de Mgr Leborgne à la célébration des obsèques de Lola.
« Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort… » Mais Jésus n’avait pas été là et Lazare, le frère de Marthe, était mort. C’est une rencontre qui a eu lieu il y a deux mille ans, et qui a lieu de nouveau aujourd’hui.
« Seigneur, si tu existais, ou si tu étais vraiment bon comme certains le disent, Lola ne serait pas morte… » Il se pourrait que beaucoup parmi nous soient traversés par des réflexions de ce genre, et comment ne pas les comprendre. Lola. 12 ans. L’âge des promesses qui commencent à prendre corps, parfois avec enthousiasme, parfois plus douloureusement. C’est aussi l’âge où on commence à comprendre le mal du monde. À ce moment-là, Lola, emportée par la sauvagerie d’un acte qui nous laisse sans voix. Seigneur, si tu avais été là… sentiment d’un rendez-vous dramatiquement manqué.
Quel est ce monde barbare qui sommeille si près de nous ?
Pourquoi cette violence ? Pourquoi Lola ? Comment cela est-il possible ? Pourquoi ce mal ? Quel est ce monde barbare qui sommeille si près de nous ? À cause de quoi ? Qu’y a-t-il ainsi de cassé dans notre humanité ? Il y a des réponses à chercher à certaines questions pour comprendre, juger, prendre des mesures, faire la vérité, se relever. Pourtant, beaucoup de questions aussi ne trouveront pas de réponse. Comme si nous avions impérativement besoin de réponses, mais comme si également nous savions déjà qu’aucune réponse ne sera totalement satisfaisante, ne nous rendra la paix et la confiance volées par ces événements.
J’entends alors Jésus dans la suite de la rencontre de l’Évangile. Il se situe autrement. Je l’entends, avec Marthe, je l’entends avec vous aujourd’hui : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit, même s’il meurt vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » J’entends aussi l’Apôtre saint Paul dans le texte que vous nous lisiez il y a quelques instants : « Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ; de même, nous le croyons aussi, ceux qui se sont endormis, Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui. »
La foi fait l’expérience d’une présence. Elle n’est pas une réponse, elle révèle une présence. Jusque dans l’odieux et le pire mal du monde. Une présence. La foi chrétienne n’est pas une vague croyance dans l’immortalité de l’âme. Elle est l’expérience déroutante de ce que Dieu ne joue pas notre vie à notre place, ni ne nous dépossède de nos responsabilités personnelles, sociales ou politiques. Déroutante, car nous pouvons penser que s’il prenait tout cela en charge, cela se passerait mieux – à ceci près que nous ne serions plus des personnes libres mais des automates. Mais expérience bouleversante de ce qu’il plonge lui-même, en Jésus, dans notre humanité, jusque dans ce qui la défigure, la dévitalise et la tue, pour y faire jaillir, jusque dans l’épaisseur de la chair, la résurrection. Ce n’est pas que pour demain, c’est déjà pour aujourd’hui. Dieu, en Jésus vrai Dieu et vrai homme, vient partager notre vie jusque dans notre mort pour que nous partagions sa vie et la puissance de la résurrection de Jésus, quelles que soient notre situation et la manière dont nous sommes confrontés à la mort.
Jésus brise une logique de mort
C’est cette logique de mort que Jésus vient briser. Celle qui prétend enfermer Lola dans la violence de ce qu’elle a subi et de sa mort. Ce qui est insupportable pour nous l’est encore plus pour Dieu. En Jésus, je sais que la mort ne pourra retenir Lola dans ses filets et qu’elle est accueillie dans les bras du Seigneur de la Vie. Je sais, Thibault, du creux de ton indicible douleur, que Lola a accueilli le « je t’aime » que tu lui as dit il y a quelques instants. Une jeune de sa génération qui n’habite pas très loin d’ici m’écrivait hier soir : « Je voudrais dire mon soutien à la famille de Lola pour ses funérailles si particulières et dramatiques… », et elle poursuivait : « Je suis certaine que son arrivée au Ciel fut merveilleuse et qu’elle sera en paix auprès de Dieu. »
C’est la logique de mort que Jésus vient briser. Celle aussi qui voudrait nous étouffer dans la violence de l’abject et de la mort de Lola. Souffrance insupportable. Jésus nous précède aussi dans ce qui nous tue nous aussi, car c’est bien une expérience de mort que nous vivons nous également. C’est bien une expérience de mort que nous vivons tous.
Jésus plonge dans la mort, dans ce qui nous broie et nous déchire, pour que nous n’y soyons plus seul, pour que sa présence nous préserve du désespoir et que, dans la grâce de sa résurrection, nous puissions tous ensemble oser l’avenir, et croire aux promesses de la vie. Cela n’enlève rien à la souffrance, cela ne répond pas à bien des questions, voilà pourtant que, malgré le brouillard épais ou la tempête, l’expérience d’un chemin, d’une route qui continue est là, de la vie plus forte, de Celui qui nous y invite.
C’est donc la logique de la mort que Jésus vient briser. Celle encore qui pourrait habiter certains, quand ils sont tentés de répondre à la sauvagerie par la sauvagerie – et méfions-nous des formes subtiles de sauvagerie. Agir ainsi, ce serait alors proclamer la victoire de la sauvagerie et lui donner raison. Ce que la mémoire de Lola nous interdit absolument de faire. C’est ici que la recherche de la vérité et l’exercice de la justice sont indispensables. La charité appelée par l’Évangile ne fait jamais l’économie de la vérité et de la justice. Elles en sont des moments incontournables. Jésus se donne dans la vérité de la Croix pour nous rendre justice, nous libérer du mal et de l’inhumain, et restaurer en nous les capacités personnelles et communautaires d’humanité et de fraternité.
La relation à Jésus au cœur même de l’innommable
« Je suis la résurrection et la vie », disait Jésus à Marthe, en lui demandant : « Crois-tu cela ? » Osez, je vous le propose, la relation à Jésus au cœur même de l’innommable. Pour vivre. Pour vivre comme Lola voudrait que nous vivions. Pour vivre, et contribuer, chacun pour sa part, à la construction d’une société qui sert la vie.
Je ré-entends alors cet appel de saint Paul, que vous-même nous avez partagé il y a quelques instants, de ne pas être « abattus comme ceux qui n’ont pas d’espérance ». Et j’entends encore la fin de l’Évangile qui nous a été proclamé. Peut-être que dans le nom de Marie se glisse chacun de nos prénoms. Oui, Delphine et Johan, Thibault et Jordan, et vous tous ici présents sans exception, votre prénom se glisse peut-être dans celui de Marie, à qui Marthe dit tout bas : le Maître est là, celui qui est résurrection et vie, celui qui donne vie, par-delà toute mort et toute violence. Il est là, Il t’appelle. Marie, dès qu’elle l’entendit, se leva rapidement et alla rejoindre Jésus. Amen.