Pour Yves, en hommage amical

   Hannah Arendt  a émis l’idée de concevoir le politique selon deux axes, l’un vertical, l’autre horizontal.

L’axe horizontal, occupé par le vouloir-vivre ensemble, constitue pour Hannah Arendt le pouvoir, mais un pouvoir qui n’a cours que pour autant les gens veulent coexister. Cette volonté qui ne s’exprime pas,  silencieuse en somme, se délite quand le groupe est menacé. Le groupe, donc ses parties. C’est le cas chaque fois que la patrie est en danger, qu’elle accuse des défaites, autrement dit quand elle est dé-faite. L’axe vertical auquel songeait Max Weber en introduisant le politique dans le social, différenciait les gouvernants et les gouvernés (Politique et société, Plon, 1971). Le fait de la supériorité peut être illustré par le rapport maître/esclave, que ce soit chez Socrate, chez Hegel, ou chez le maître de justice dans la tradition juive, tout cela qu’on retrouve dans de Magistro de saint Augustin.

C’est sur cet axe vertical que se construit l’usage de la violence, qui a fait se rencontrer récemment une France d’ « en-haut » et une France d’ « en-bas ». La violence est, pour ces derniers, le seul moyen de se faire entendre. À observer l’affrontement, l’opinion voit alors la violence, effaçant la colère au principe de la révolte.

Nous aspirons à faire émaner le pouvoir de la volonté de vivre ensemble, et que l’axe vertical au bout duquel culmine le pouvoir soit réabsorbé par l’axe horizontal, ce qui déboucherait sur ce qu’on a appelé l’auto-gestion pour le fonctionnement de laquelle il faut être équipé de sagesse et d’éthique.

C’est bien à cette sagesse qu’appelait Périclès quand il a « inventé » la démocratie qu’il faisait reposer sur trois principes : l’égalité de tous devant la loi ; la participation de tous à l’organisation et au fonctionnement de la cité ; la liberté d’opinion pour tous. Tout cela collait avec l’adage de son ami Protagoras : « L’homme est la mesure de toutes choses ». On attendrait aujourd’hui que nos régimes qui se targuent d’être démocratiques restituent cette place centrale à l’homme, co-partenaire d’un monde qui ne se fera pas sans lui, sans ses aspirations, ses désirs, ses intérêts.

Le projet démocratique peut être conçu à partir de ces principes originaux comme l’ensemble des dispositions prises pour que le rationnel prévale sur l’irrationnel. Nietzsche notait qu’on s’engage par goût, rarement par argument. C’est bien le drame. Mais en même temps que l’axe horizontal amorce la réinsertion de l’axe vertical, cela implique que l’axe horizontal du vouloir vivre ensemble prévale sur le rapport irréductiblement hiérarchique de commandement et d’autorité. La camembert plutôt que la pyramide !

La réflexion morale, à partir de la notion d’autorité est à réfléchir. L’autorité est une chose troublante, avouait Paul Ricœur, et que le Frère Franciscain François Bustillo définit comme la capacité à faire grandir l’autre plutôt que de l’asservir, ou même le protéger.

D’une manière générale l’autorité fait référence à l’autonomie. Par contraste.

L’autonomie se dote du viatique de la liberté comme source de sa propre loi. La loi morale est ici celle de la liberté. Ce qui ne va pas de soi. Nous nous heurtons en effet à la résistance à l’entière résorption dans la définition de la liberté se donnant sa propre loi. Cette résistance se manifeste dans la figure d’autrui, comme l’a exploré Lévinas. L’extériorité d’autrui m’appelle à la responsabilité qui me constitue comme sujet responsable et me fait dire : « Qu’as-tu fait de ton frère ? »

 

Gérard Leroy, le 29 juillet 2021