Pour Marc Grassin, avec mon respectueux hommage amical
Le phénomène de la post-modernité, dont on s’accorde à situer l’aube au moment de la chute du mur de Berlin, est perçu comme l'indice d'une certaine crise de la modernité des Lumières à l'intérieur de la culture occidentale. C'est là un phénomène étranger à la plupart des pays musulmans, surtout les pays émergents qui aspirent intensément à la modernité scientifique et technique pour transformer leurs conditions de vie.
Au moment même où les européens ont une plus vive conscience de leur ethnocentrisme passé et portent un regard critique sur la raison des Lumières, certains intellectuels musulmans risquent d’être fascinés par la modernité, attirés par un islam des Lumières qui finalement pourrait leur faire oublier les richesses de leur histoire à laquelle est attachée leur propre tradition culturelle.
L'Occident est lui-même en quête d'une nouvelle rationalité, intégrale, qui assume toutes les composantes, affectives, éthiques, esthétiques et même religieuses du savoir humain au point de vouloir délaisser la croyance au bénéfice de la raison. On se targue d’être « dans le progrès » et on revient à la Révolution. Serait-ce un risque que prendrait un islam européen de promouvoir une rationalité inédite qui soit au point de tension des exigences de la raison critique et de la raison islamique ? Pas si celle-ci acceptait que son texte fondateur soit passé au crible de sa raison critique ?
Reste, de surcroît et nécessairement, à témoigner de l'irréductibilité de l'homme qui ne peut être ramené à un être de besoin comme le présentent les sociétés européennes qui se veulent maîtresses d'elles-mêmes en éliminant toute référence à une transcendance. L’homme moderne est l’esclave de la modernité. « Il n’est point de progrès qui ne tourne à sa plus complète servitude » (Paul Valéry). Plus nos sociétés obéissent à une logique marchande de rentabilité et de consommation et plus elles éloignent l’homme de l’Altérité à laquelle il aspire.
Gérard Leroy, le 21 juin 2019