Nietzsche réagit contre un christianisme moral qui valorise le non-humain, l’ascèse, l’humilité. Pour lui la croyance est révélatrice de quelque chose d’autre (1).

 

Nietzsche se fonde sur le présupposé suivant : celui qui croit veut croire. La croyance s'origine non pas dans un objet à croire, mais dans la volonté de croyance.

 Qu’est-ce qui motive cette volonté, qu’est-ce qui est voulu en amont de la croyance ? La croyance naît de la peur et du besoin qui cherche “n’importe quel sens plutôt que pas de sens du tout.” (2) . On veut tenir quelque chose pour vrai parce qu’on tient à la vie. On veut des repères ! Un “à quoi s’en tenir”.

 On veut. Mais de quelle façon veut-on ?

 On peut vouloir de trois façons, qui correspondent à trois métamorphoses de l’homme (3) :

1) L’homme, au premier stade de son évolution, dispose d’un esprit identifiable à celui du chameau.
Le chameau, c’est celui qui est docile, qui s’agenouille, qui obéit au maître qu’il vénère. Le chameau supporte le fardeau, il est dominé par le dragon, symbole des valeurs morales, sur les écailles duquel est écrit : “tu dois”. Le chameau vit sous la domination des valeurs chrétiennes morales. Et le chameau de répondre : “Je veux”, qui signifie “Je veux bien”.

2) L’homme, au second stade de son évolution, dispose d’un esprit identifiable à celui du lion.
Le lion rugit, il vitupère contre les valeurs traditionnelles qui lui ont été transmises. Il crie “je veux”, autrement dit: “je ne veux plus". “Ni Dieu ni maître ! (4). Le lion se venge sur le témoin omniscient, qui voit tout. C’est un indiscret, un indécent. Qui condamne l’homme à une moralité d’esclave. Cette seconde métamorphose, marque l’avènement du nihilisme, du rejet des valeurs. Mais l’esprit-lion ne sait pas utiliser sa liberté pour du positif. Il est libre... dans un cimetière, celui des valeurs !

3) Au troisième stade de son évolution, auquel l’homme n’a pas encore accédé, l’homme disposera d’un esprit identifiable à celui de l’enfant.
L’enfant est son propre chef, il invente le monde, et ses propres valeurs. Il a cessé d’obéir ou de se révolter. Il veut. Il veut construire l’avenir. Il est, dit Nietzsche, le Surhomme, non pas celui qui écrase les autres, mais celui qui à être : son propre pilote. C’est lui le Seigneur. Pas l’esclave.

On l'aura deviné, c’est l’esprit-chameau qui est prédisposé à la croyance, l’esprit-lion au fanatisme. Moins un individu sait commander à lui-même, moins il sait se donner des mobiles et des fins, et plus il appelle quelqu’un qui commande. Il éprouve un besoin impérieux de se donner un guide, un gourou, quelqu’un qui commande, qui vient avec ses vérités. Ça peut être Dieu, mais aussi le prince, la classe sociale, le psychanalyste, le dogme, la conscience de parti etc. Toutes ces entités viennent investir sa volonté qui obéit, qui se laisse conduire. Il y a altération de la personnalité. C'est la volonté de faiblesse qu’a décrite La Boétie dans le Discours de la servitude volontaire, ou même Blondel quand il distingue la volonté voulante de la volonté voulue en introduction de sa thèse sur L’Action.

Cette volonté de croyance, que Nietzsche appelle la volonté de faiblesse, s’exprime aussi par l’agressivité, par la volonté de conquête. Elle se manifeste dans les fanatismes religieux, politique, sportif, là où chacun s’accroche à son point de vue avec d’autant plus de force qu’il se sait menacé. Il veut croire davantage. Plus il se donne des raisons de croire et plus il croit qu’il a raison de croire.

 Nietzsche appelle l’homme à prendre la vie telle qu’elle est, à la danser. L’existence n’a pas de sens, ni de finalité. Nietzsche est ici à l’opposé d’un Aristote. Le monde est beauté, innocence, existant par-delà le bien et le mal.

 

Deux questions souleveées par Nietzsche

 1) Nietzsche pose la croyance sur une volonté du sujet et non sur l'objet de croyance qui est exclu du phénomène analysé par Nietzsche. Prétendre qu’il n’y a rien croire, n'est-ce pas encore une volonté de croire, qui veut croire qu’il n’y a rien à croire ? Celui qui veut la religion peut encore vouloir des substituts de la religion.

 2) Nietzsche s’attaque au besoin religieux (cf § 347 du Gai Savoir). À travers la religion, l’homme tente de percevoir l’existence d’un être mystérieux qu’il cherche à s’approprier, qu’il prendra comme le dieu papa-poule, qui cageole ou qui console, ou le dieu-justicier, le père fouettard. De notion théologique, la justice rejoint la notion morale. On passe du Dieu juste et bon qui vient sauver, au juge qui sanctionne. Nous sommes ici en présence d’une déviation fondamentale du christianisme.

 

Gérard LEROY

 

 

  • (1) F. Nietzsche, Gai Savoir, coll 10/18, § 347.
  • (2) F. Nietzsche, Généalogie de la morale.
  • (3) cf. “Les 3 métamorphoses” dans Ainsi parlait Zarathoustra.
  • (4) Dans L’insensé, au § 125 du G.S., qui a tué Dieu ? C’est l’esprit-lion.