Pour Anita et Jacques de Saint-Exupéry, en hommage amical

   « Ils respecteront mon fils ». Dans Mt 21 (33 à 43) la parabole des métayers qui se révoltent est à comprendre comme le sens de l’histoire du salut, que le Christ a apporté à l’humanité dans deux précédentes paraboles, autour de la vigne. Chacun y est appelé par l’amour du Père, jusqu’aux ouvriers de la dernière heure. Notre liberté reste entière. Mais il n’est jamais de refus qui doive rester définitif (les deux fils).

En arrière-plan de l’Évangile, l’initiative de Dieu s’établit sur deux plans : l’appel et le soin de la vigne. Il fait confiance à son peuple et lui offre de vivre dans sa vigne. C’est un appel au partenariat.

La culture du fruit, le raisin et, par la suite, le vin annoncent la joie et la prospérité selon la tradition biblique. Dieu prend soin de son peuple afin qu’il produise son fruit, entendons : la vie en plénitude dans la justice et l’amour. L’amour prévenant de Dieu à l’égard de son peuple attend la réponse de l’homme qui l’exprime par sa fidélité à la Loi.

Le drame du Peuple choisi a été son refus d’entrer dans ce projet, malgré tous les appels à la conversion. À ces appels sans cesse renouvelés par les prophètes, ce peuple hésite, tergiverse, se rétracte. « Ils avaient oublié ses hauts faits, ses merveilles qu’il leur donne de voir. » (Ps 77, 11) Alors, quand vient l’heure du repentir, ce peuple en appelle à la miséricorde de Dieu. « Dieu tu sais ma folie. Mes offenses sont à nu devant toi. » (Ps 68, 6)

Ce peuple le sait : Dieu ne désespère jamais des hommes, car l’amour ne désespère jamais. (cf. 1 Cor) Il envoie son propre Fils qui sera livré à la violence des hommes. Lui, le Juste, le Serviteur souffrant (Is 50), sera mis à mort,

Au lieu que l’histoire humaine s’achève dans l’absurdité de cette mort sur la Croix, la Résurrection déclenche une ré-interprétation de notre histoire. Par sa mort, Jésus détruit la force du mal. Par sa Résurrection, il révèle à l’homme que la puissance de l’amour détruit la violence. Comment comprendre aujourd’hui que « la pierre rejetée des bâtisseurs devient la pierre d’angle » ? La vigne devient le Royaume de la Nouvelle Alliance. Le Royaume n’est pas détruit, il est désormais donné à d’autres vignerons. À suivre.

Nous avons à prendre conscience de la misère de notre condition lorsque nous rejetons la « pierre d’angle », lorsque nous prétendons construire le monde selon nos règles, selon nos normes, en nous considérant propriétaires de la vigne du Seigneur. Ce désir de propriétaire engendre la violence non seulement dans notre vie personnelle, mais encore dans la vie sociale et politique.

La violence est issue de nos désirs, comme l’a bien montré René Girard. Nous y participons collectivement, même quand notre responsabilité immédiate n’est pas directement engagée. Nous nous éloignons du Royaume au risque de sombrer dans la désespérance à mesure que les échecs s’accumulent.

Si le disciple de Jésus se sait souillé par le péché, le sien et celui qu’il partage avec les autres, il sait tout autant la miséricorde apportée par le sacrifice de Jésus-Christ. À traduire dans nos vies.

La mort sur la Croix ne signifie pas l’absurdité du monde, elle inaugure le monde nouveau. Le disciple de Jésus sait enfin que le Royaume est à l’état de fondation dans son histoire humaine. Il sait qu’il ne s’épanouira qu’à la fin des temps. Dans l’immédiat le monde que nous sommes peut être partenaire de l’oeuvre du Père, comme le vigneron dans la vigne du Royaume.

La tâche nous est donc confiée de travailler à sa Vigne. Avec le Christ, dans l’Esprit, jaillit l’espérance : « Ce que vous avez appris et reçu, ce que vous avez vu et entendu, mettez-le en pratique et le Dieu de la paix sera avec vous. » (Ph 4, 9).

Allons tailler la Vigne.

 

Gérard Leroy, le 7 avril 2023