Pour Philippe Weickmann, en hommage amical
Parce qu’ils écrivent sur du papier public, parce qu’ils se savent écoutés dans le poste, les journalistes s’octroient l’accès à la position dominante des nouvelles féodalités qui ne disent pas leur nom. En fait, ces autorités usurpées, plutôt que de dire ce qu’il en est des choses, de la politique, de la société, de l’histoire, prétendent ce qu’il doit en être. Ils vous abreuvent de leurs idées, vous imposent leur pensée plutôt que de vous donner à penser. Ces nouveaux donneurs de leçons se déclarent experts en tout, des évolutions sociales comme du reste. Ça impressionne toujours les quidam et ça dispense les beaux-parleurs de présenter des analyses qui tiennent debout. Derrière eux, le beau monde qui se hausse du col emboîte le pas : des acteurs, des chanteurs, des sportifs, des m’as-tu vu, bref des gens qui font peser du poids de leur prestige leur point de vue sur des secteurs qu’ils n’ont jamais foulés !
Mais le pire est dans l’exclusion radicale et spontanée des gens qui ne leur ressemblent pas, qui n’épousent pas leur moule, politique ou religieux, qui ne rentrent pas dans le rang, dans ce que les interviewers définissent comme politiquement correct.
Les fascistes naguère procédaient à leur funeste ouvrage à partir de la délation. Il suffisait que des ragots infamants se répandent sur quelqu’un et le sort de celui-ci en était jeté. Il ne mangeait pas de porc ? Suspect. Il portait une barbe ? Suspect. Il se coiffait toujours d’un chapeau noir à large bord ? Tout cela à la fois ? Son billet pour Cracovie était dans la poche. La méthode des plateaux de télévision s'y apparente peu à peu. Qu’on vous sache régulier à la messe, que vous paraissiez dubitatif à propos du mariage pour tous, ou que vous souteniez une association en faveur de la famille, attendez vous à ce que le quart d’heure avec un de ces jurés du nouveau magistère moral ressemble à une comparution.
Sous la bigarrure troublante des prêts-à-penser s’impose une idéologie dominante qui tient lieu de pensée. De nombreux journalistes sont aujourd’hui animés de cet état d’esprit fondamentaliste. Ils enferment leur vision du monde dans une lecture de l’histoire et de ses significations ramenée à leur seule perception. Leur connaissance du monde est réduite à l’idée qu’en forme leur conscience, laquelle devient la référence exclusive et quasi-totalisante. Leur idéologie imprègne les mentalités, façonne la culture, et du coup semble aller de soi, correspondre à l’esprit du temps, et autoriser à récuser péremptoirement toute attitude différente devenue par voie de conséquence méprisable.
Quelle force nous pousse donc à gober en les vénérant ces ayatollahs, dont les idées d’ailleurs ne trouvent de force que dans l’opinion, volatile, soumise aux émotions plus qu’aux convictions. L’opinion, “est comme la reine du monde”, disait Pascal. Quand l’opinion s’étale sur tout, la pensée se réduit à peu de chose. L’opinion, “c’est ce qui pense à votre place” disait J.F. Revel. Elle asservit à sa loi que gouverne le coeur, plutôt que l'esprit. C’est que l’esprit fout le camp !
Gérard LEROY, le 18 juin 2015