À Élias, au Pasteur Michel Jas, et à ses amis
Peut-on trouver un sens au dialogue, et la richesse de celui-ci, tant qu’on n’accepte pas l’autre tel qu’il est ? Tant qu’on cherche à le conquérir ? Tant qu’on ne consent pas qu’il soit différent ? Tant qu’on essaye d’empiéter sur la vérité de la conscience de l’autre, de sa recherche, en émettant des motifs de réserve que l’on place avant la confiance ?
Le dialogue exige, au contraire, de laisser sur la touche les pré-compréhensions, les préjugés, les présupposés. Il s’agit de se départir, non par laxisme mais par lucidité, de cette attitude dominatrice qu’a eu longtemps l’Église, et qu’ont encore les roitelets de tous bords, s’appuyant sur leur notoriété qui tend plus ou moins consciemment à assujettir l’autre, au lieu de le servir.
Il convient encore de délaisser la tentation de se réfugier dans la vérité objective en requérant de l’autre de s’y soumettre sous peine de se voir qualifié de sot, dénué de tout jugement. Il s’agit de reconnaître le terrain où une commune vérité engage l’un et l’autre. Bref, Il s’agit de penser la pensée d’autrui, comme par empathie, sans nécessairement la partager. Et si la compréhension s’envisage, c’est en raison d’un présupposé que les consciences s’inscrivent sur un même horizon, la vérité, et que la vérité se fraie un chemin à travers l’échange et le dialogue. Pareille attitude n’est ni tactique ni habileté apologétique. D’où son efficacité.
Les préalables du dialogue impliquent l’acceptation de l’autre comme autre et l’ouverture à ce que l’on admet qu’il puisse nous apporter.
Cela suppose au moins une acceptation provisoire de l’idée que l’autre puisse avoir raison, ou du moins des raisons, à certains égards valables, de voir les choses autrement que nous. Cela revient, en effet, tout simplement, à reconnaître à l’autre le droit d’être autre, c’est-à-dire lui-même.
Ceci a pour effet d’accorder aux interlocuteurs dont les conclusions se heurtent, le temps nécessaire pour mieux se comprendre les uns les autres, pour mieux se comprendre soi-même, puis pour se rejoindre en un point encore indéterminé, encore au-delà des convictions en présence.
Tout cela implique qu’on renonce à quelque chose de soi, à savoir que la vérité que tient chacun ne couvre pas toute la vérité, que la vérité est plus grande, plus étendue, plus complexe qu’on ne le supposait, et qu’il va s’agir de la “dévoiler”, comme y invitaient les Grecs. C’est un renoncement difficile, que d’abandonner ce qui a été transmis non seulement comme vrai, mais comme vérité exclusive. Comme il est difficile de remettre en question que toute vérité est détenue par l’Église et que l’Église détient seule cette vérité. Ne serait-ce pas admettre alors le droit à l’erreur, voire à l’hérésie ? Ne serait-ce pas légitimer l’existence de ce qui ne doit pas exister ?
L’ouverture au dialogue suppose seulement qu’on ait conscience de pouvoir et de devoir s’approfondir, se purifier, poser intelligemment les questions, formuler clairement la vérité aperçue, et cela en acceptant que l’autre nous apporte quelque chose, au moins un ébranlement, une interpellation. L’ouverture au dialogue implique, de façon nécessaire et suffisante, la conscience de ne pouvoir identifier totalement ce que l’on tient, en l’état où on le tient présentement, avec l’Absolu de la Vérité que l’on professe. Tout cela suppose l’acceptation de sa propre incomplétude... et la perception de la capacité exigeante de se compléter.
Tout véritable dialogue est en même temps une mise en question de soi-même par soi-même, une sorte d’examen de conscience. Qu’attend l’autre de moi, sinon que je sois moi, authentiquement ? C’est la conscience que doivent avoir des interlocuteurs quand ils tentent de rapprocher les fils d’un même esprit en vue de signifier le retour sur soi comme un retour à la source commune.
Gérard LEROY, le 12 février 2016