Pour Raphaël Servillat, en hommage amical

   Le christianisme est-il la manifestation propre à une culture ? Le problème s’est posé. La reconnaissance de la relativité culturelle du christianisme servirait-elle d’alibi pour réduire la proposition chrétienne à quelques considérations sociologiques ? Ce serait écarter le fait que l’universalité du salut chrétien repose sur le don de Dieu, et le faire dépendre  d’une détermination de l’être humain, en un lieu et à un moment donné de son histoire. « La théologie chrétienne doit considérer comme une des tâches urgentes de reconnaître l’universel du don, à l’inverse exact de la prétention solipsiste à l’universel de la raison et de la liberté ouvertes. » (Mgr Eyt).

La chance de l’Église catholique aujourd’hui, c’est en effet la prise de conscience croissante de la relativité de la culture occidentale qui fut pendant des siècles la culture dominante de l’Église. À l’heure de la mondialisation, la mission au nom de l’universalité de l’Évangile ne doit pas coïncider avec l’emprise d’une culture dominante.

Reconnaître le don universel de Dieu en Jésus Christ va donc à l’encontre d’une approche de l’Évangile en amont de son inscription dans la culture, mais bien, au contraire, en aval, en reconnaissant la manière dont Dieu a manifesté sa « charge d’universel » dans l’Alliance avec Israël et dans le destin de Jésus Christ.

Il y a cependant bien une particularité chrétienne. Qu’il est possible de préciser dans son contenu essentiel. Certes, la vérité chrétienne ne se laisse pas enfermer dans des énoncés particuliers. Si la vérité n’est pas spontanément et totalement disponible, cela n’exclut pas qu’elle vient à nous sous la forme déterminée d’une tradition et que l’on puisse en conséquence désigner faux ce qui la contredit. L’universel chrétien se nourrit, pour se dire, de déterminations positives et précises. Ce qui veut dire que la communauté de foi ne peut s’envisager en dehors d’une communion à une vérité dont l’universalité est d’être possiblement reconnue comme accessible par tous. 

La révélation chrétienne n’est pas seulement proposée, mais elle doit encore être reçue. Par tous.Le Nouveau Testament est d’ailleurs marqué, pensons à la Pentecôte, du sceau de la pluralité. Le christianisme naissant a surmonté les tensions issues de la dualité du Juif et du Grec. Toute réflexion sur la manière de comprendre l’universalisme de la révélation chrétienne s’inscrit dans le cadre d’une diversité historiquement attestée, qui inaugure la dimension universelle de la révélation accomplie en Jésus-Christ. La pluralité des interprétations est donc intérieure à la révélation elle-même. On revient donc à la position précédente, c’est-à-dire à la reconnaissance d’un pôle critique —ici, le don de Dieu—, qui demeure inaccessible hors de la diversité culturelle. L’unité de la foi conjugue avec la diversité des formulations.

Le christianisme se joue dans la rencontre de l’universel et du particulier. Même en reconnaissant la diversité de cette rencontre. En termes d’anthropologie culturelle, c’est dans leurs particularités mêmes que certaines cultures humaines ont une chance d’avoir une portée universelle pour tout homme. Reste à savoir quelle est cette particularité culturelle. 

Si l’Évangile peut être, au sein de la culture, une instance critique, c’est parce que la culture elle-même le permet, en tant qu’elle comporte, en sa structuration même, un potentiel d’universalité. Il y a, dans toute culture, une ouverture potentielle à une transcendance, indéterminée.

 

Gérard Leroy, le 21 février 2020