Cet article nous a été envoyé par Jean-Pierre CHARTIER, peu avant son décès
Comme toute peuplade exotique, chaque tribu psychanalytique a ses rites spécifiques, ses mots sacrés, ses schibboleths pour reprendre le terme biblique utilisé par Freud à propos de l’interprétation du rêve. Ils fonctionnent comme autant de totems qui permettent à ses membres de se reconnaître, d’être fiers d’en être, et de se congratuler ! Si je dis aujourd’hui “culpabilité œdipienne”, “transfert sur le cadre”, “analité primaire”, et “processus tertiaire”, je fais partie du peuple élu, en tout cas le plus proche historiquement parlant du créateur puisque dès 1926, celui-ci s’implantait solidement en terre française en revendiquant haut et fort son ancrage parisien. Si j’entrelarde mon discours d’un zeste d’imaginaire, d’une pincée de petits « a » et d’une bonne louche de grand Autre, tout cela mijotant sur un fond de symbolique dans le chaudron troué, cher à Freud, et surtout si je me réfère à la structure, je serai à coup sûr identifié comme un des nombreux disciples si ce n’est un zélote de ceux qui ont suivi le maître qui revendiquait sa solitude dans son retour à la chose freudienne.
Mais depuis 1912, nous savons que les totems ne peuvent pas se passer de tabous. Ceux-ci ont générés les scissions, les exclusions, les excommunications qui ont lézardé le paysage psychanalytique contemporain et lui ont donné son aspect chaotique. Comme le disait déjà Kurt Schneider, l’inventeur du concept de psychopathie, dès 1923, « une science qui ne connaît pas son histoire ne se comprend pas elle-même ».
Je partirai donc du postulat qu’au 4ème groupe nous ne sommes peut-être pas les plus mal placés pour entendre la saga analytique française. Nos maîtres n’ont-ils pas été d’abord formés à la S.P.P. avant de migrer à l’A.F.P. pour participer ensuite à la naissance de l’école freudienne avant de se séparer de Lacan en 1969 ? Aussi, avant de tenter de vous montrer en quoi la psychanalyse freudienne est théologique et la lacanienne mystique, je ferai un bref rappel historique des schismes qui ont jalonné le mouvement psychanalytique depuis sa naissance en rappelant préalablement que les religions officielles et la « religion privée » des analystes furent pour beaucoup dans ces ruptures, comme le suggère Mikkel Borch-Jacobsen « la gangue rationnelle de la psychanalyse dissimulerait-elle un noyau mystique » ? *
Jean-Pierre CHARTIER, article posthume, le 18 avril 2015
* Mikkel Borch-Jacobsen, Le lien affectif, Aubier, 1991, page 121.