Pour Yves Giorello, en hommage amical
Pierre arriva à Rome alors que Claude occupait encore le trône. L’homme était d’apparence vulgaire, un peu rustre. Débarqué à Ostie, le port de Rome, l’homme aux cheveux crépus marcha jusqu’aux jardins de Servilius. S’étalaient sous ses yeux les chantiers, les quais immenses, les temples nombreux, les monuments couronnant l’Aventin, les jardins du palais des Césars. Pierre alla habiter dans le quartier juif, près du Janicule.
Très vite on apprit les activités de Pierre en Judée, et son attachement au prophète, si détesté, de Nazareth. Pierre venait à Rome pour prêcher. Il avait d’abord eu à s’opposer à un homme très populaire, Simon le Magicien, attiré par les miracles accomplis par Philippe et qui voulait soudoyer Pierre pour connaître le procédé permettant de guérir en imposant les mains. Pierre l’avait repoussé.
On se disputait alors pour savoir si Jésus, qui avait été crucifié, était bien le Messie attendu. Les disputes frôlaient parfois l’émeute. Les magistrats romains, agacés par les juifs et les chrétiens qui constituaient pour ces gens de justice le même fléau, avaient amené Claude, quelques années plus tôt, à signer un décret expulsant de Rome tous ces agitateurs.
Pierre continuait de prendre des contacts et de nouer des amitiés. Il fit connaissance du sénateur Pudens et de sa femme Claudia, qu’il convertit à la foi chrétienne très vite. Il faut dire que l’époque était favorable à cette nouvelle adhésion. La prédication des chrétiens séduisait les esprits latins qui délaissaient progressivement leurs traditionnelles croyances, plus ou moins mercantiles, en leurs dieux. Le sénateur Pudens offrit à Pierre de le loger. Si bien que Pierre recevait des gens venus de tous les horizons dans la maison de Pudens, organisait des réunions et des services religieux, discutait, administrait le baptême, enseignant dans un fauteuil qu’on peut voir aujourd’hui dans la basilique Saint-Pierre.
Les diacres et les diaconesses qui entouraient Pierre étaient enveloppés dans un large manteau bariolé des Dalmates, en Croatie, manteau appelé par la suite « dalmatique ». Des gens de toute classe composaient cette congrégation, des artisans, des patriciens, des sénateurs, des esclaves, des chevaliers, venant d’Egypte, d’Arménie, ou des Numides d’un ancien royaume berbère. Bref, des gens très divers venaient rencontrer Pierre.
Pierre visita toute l’Italie. Ses coadjuteurs prêchaient que patriciens et esclaves étaient tous frères aux yeux de Dieu. Ils annonçaient la résurrection des morts. Ils enseignaient des vérités qu’aucun autre auparavant, même Platon, n’avait jamais dites, déclarant qu’elle venaient du Maître, fils de Dieu, crucifié par les juifs, et ressuscité. Les diaconesses s’occupaient des femmes, des jeunes, des enfants abandonnés. Les diacres venaient en aide à tous ceux qui étaient dans le besoin.
La population de Rome était divisée en tribus, chaque tribu composée en dix curies. Les habitants de chaque curie avaient à leur disposition un édifice où ils étaient tenus de venir pour prier les dieux. Le prêtre de la paroisse païenne s’appelait curion. Pierre créa dans chaque quartier un lieu de réunion où se célébrerait le service divin et où l’on donnerait à manger aux pauvres, à la manière de chaque curie romaine depuis Romulus et Rémus. Les chrétiens célébrèrent, faisant suivre par une Eucharistie ce qu’ils appelaient les « agapes ». Les partisans de Pierre se réunissaient dans les catacombes, sous la colline alors déserte du « Vatican » qui tirait son nom de leurs chants : vatis cantus (le chant barde).
Les Romains jugèrent la prédication chrétienne offensante pour leur orgueil. Ce qui étonnait le plus, c’était que beaucoup de prosélytes vendissent leurs maisons et leurs terres pour en distribuer le produit aux nécessiteux. Le monde romain, en dépit du relâchement des mœurs, conservait un attachement fort à l’État, à la famille, et aux dieux. Les Romains avaient connu les guerres, l’abolition de la royauté, l’avènement d’une loi républicaine qui peu à peu avait pris la forme d’une pseudo-monarchie, qu’on appelait parfois césarisme. Rome était pleine d’un impérialisme trop grand, et infectée par toutes sortes de vices, affaiblie par la corruption.
Le monde païen comprit que cette nouvelle croyance menaçait son existence propre. La religion neuve, prêchée par un petit groupe d’obscurs zélateurs orientaux, risquait de jeter bas toute la philosophie romaine de la vie. Alors Rome renforça son opposition à ce nouveau mouvement, jusqu’à recourir à la persécution.