Pour Alain Fourniol, en hommage amical

   Une collectivisation forcée de l’agriculture, lancée dès 1929, s’est opérée par la création de fermes collectives que la paysannerie ukrainienne a été contrainte d’accepter. Ces groupes de fermes ont constitué ce qu’on a appelé des kolkhozes.

Un nouvel ordre est instauré,  où l’État s’autorise un prélèvement sur la production agricole. Des familles paysannes modestes refusent d’entrer dans les kolkhozes. Qu’à cela ne tienne : Staline décide en 1930 de déporter près de 60 000 familles d'Ukraine vers les régions du grand nord ou de Sibérie. Une fraction de la paysannerie perçoit d’emblée la politique meurtrière de la collectivisation. Les hauts responsables ukrainiens alertent Moscou. La réponse est cinglante. Dans un télégramme adressé en juin 1932, Staline répond aux dirigeants du parti communiste ukrainien, qu’aucune baisse de livraison en provenance des kolkhozes ne sera tolérée et qu’aucun délai ne sera accordé. La production s’effondre et la récolte de 1932 chute de plus d’un tiers.

À la fin de l'année 1932 le gouvernement soviétique interdit aux paysans de communiquer sur leur difficulté alimentaire. Durant cet été 1932 une longue lettre adressée par Staline à l’un de ses proches collaborateurs témoigne de l'enjeu politique économique de l’Ukraine. Car l’Ukraine est perçue comme un rouage économique indispensable au plan du développement de l'industrie lourde. Elle concentre en effet à elle seule près de la moitié de la production agricole et la moitié de la production industrielle soviétique.

Il faut transformer l’Ukraine, selon Staline, en véritable forteresse de l’URSS, en république exemplaire. « Sans ces mesures nous risquons de perdre l’Ukraine » conclut Staline, lequel blâme l’incompétence du parti communiste Ukrainien.

Le 16 septembre 1932 un décret vise à protéger la propriété d'état des kolkhozes. Pour renforcer sa décision arbitraire ce décret criminalise toute pratique de glanage ou de chapardage dans les champs collectivisés, par des paysans affamés. Un proche conseiller de Staline annonce que l'Ukraine doit assurer un tiers de la production soviétique. Des quotas toujours plus élevés sont instaurés en même temps que le prélèvement brutal de toute production agricole. Des mesures sont prises pour imposer des livraisons supplémentaires aux villages, aux cantons, et parfois au régions qui ne remplissent pas leur quota ; les magasins ferment, les populations récalcitrantes sont arrêtées en janvier 1933. Enfin les frontières sont fermées fin février : près de 200 000 paysans ukrainiens ayant cherché à fuir sont renvoyés vers les régions affamées.

La situation est horrible. Près de 30 % de la population meurt de faim et l’on trouve des cas de cannibalisme et de nécrophagie. Dans les villages on ne voit plus ni chien ni chat, tous ont été mangés. L'année 1933 est la plus meurtrière ; les régions de Kiev et de Kharkiv sont les plus durement frappées, avec près d'un million de victimes dans chacune de ces deux régions.

La collectivisation voulue par Staline a causé une faim généralisée qui a entraîné la mort de 3,5 millions à 4 millions d’Ukrainiens, de 6 millions de personnes à travers l’union soviétique. Au Kazakhstan elle a tué 1,2 millions d’éleveurs kazakhs, soit le 1/3 de la population.

Fin 2022, le Parlement européen a reconnu l’Holodomor (« extermination par la faim ») comme un génocide.

 

Gérard Leroy, le 31 mai 2023