Pour Claude Demougeot, en hommage amical

   Résumons l’intention de cet article par cette lumineuse citation de Paul Ricœur : « se comprendre, c’est se comprendre devant un texte et recevoir de lui les conditions d’un soi autre que le moi qui vient à la lecture ».

La raison philosophique prend aujourd’hui ses distances à l’égard de l’ontologie classique et à l’égard des philosophies du sujet, pour s’approcher de l’être et tenter de le considérer dans sa fonction langagière. À l’instar de ses prédécesseurs, Schleiermacher, Dilthey ou Heidegger, H.-G. Gadamer exerce l’art de dissiper les obstacles à la compréhension, qu’ils surviennent dans un texte (biblique, juridique etc.) ou dans un dialogue (« qu’est-ce que l’autre veut dire ? »), ce qu’il définit comme herméneutique

Quant à la théologie, celle-ci est définie par M. Heidegger, comme « la science du dévoilement d’un étant donné dans l’histoire ». À l’instar de l’archéologue il convient de fouiller, et s’apprêter à fouiller sans relâche, animés du désir de trouver une réponse aux questions qui s’ajoutent au fur et à mesure plus qu’elles n’apportent des bribes de réponses. Car c’est à un mystère bien souvent que l’on est confronté. Pourquoi insister ? Pour comprendre, se comprendre et porter à l’autre l’espérance qui naît de cette parole transmise depuis l’Événement, déjà inscrit dans l’histoire qui le précède et l’annonce.

Les récits s’appuient souvent sur des mythes, ou des symboles, ou même des paraboles (la tour de Babel, l’ouvrier de la dernière heure…) L’exégète restitue dans leur langue et leur histoire l’épaisseur des traditions écrites. Cette discipline, indispensable guide celui qui cherche à entendre la Parole, et nous invite à ne pas séparer les « figures » de Dieu des formes du discours dans lesquelles ces figures adviennent. Lire un récit suppose de savoir qui le dit et ce que celui-ci veut dire. Que contient ce récit par-delà l'histoire ? Que signifie pour moi, aujourd’hui, au terme de tout une chaîne de transmissions, le mythe qu’il porte, les prophéties qu’il annonce, l’hymne et le psaume ?

Le mythe veut dire autre chose que ce qu’il dit. D’où les interprétations qu’il suscite. C’est sa portée qui importe. À l’interprète de retrouver l’intention de sens. L’interprétation des symboles et des mythes devient une médiation essentielle de la compréhension de soi. « Le symbole donne à penser » disait Paul Ricœur. La « petite voix » du symbole est étouffée dans le vacarme des paroles sèches échangées sur le mode du calcul. Il y aura cependant toujours des poètes et des oreilles tendues vers eux…

Le regard sur le symbole et le mythe ouvre sur une Poétique de l’espace, disait Bachelard. Ce regard veut échapper aux difficultés du point de départ, ce refuge de la pensée en quête de la première vérité. En revanche, une méditation sur les symboles ou les mythes part d’une première lecture, certes, pour aller au sens, toujours déjà là.

Aussi convient-il d’encourager la tentative d'introduire, dans le cercle de la réflexion, un exigeant détour par les symboles et les mythes véhiculés par les cultures, non seulement contemporaines de la rédaction du récit, mais aussi celles qui l’ont transmis d’âge en âge.

La critique textuelle, herméneutique, des récits bibliques  permet d’accéder à une vérité signifiante plus importante que le support historique. En passant par la démythologisation des mythes bibliques « extirpés », on en vient à découvrir que la signification de la vérité reste impossible à dire d’un simple point de vue scientifique ou philosophique, et plus encore une vérité impossible à transmettre « sans le secours, le détour du symbole et du mythe » disait Paul Ricœur. Le mythe est donc nécessaire. Et la démythologisation de même, en vue d’une purification de la foi, ramenée à son noyau essentiel, par la dure ascèse des conclusions du savoir scientifique.

Devant ce polymorphisme littéraire chaque régime développe un rapport spécifique au temps, au monde, à Dieu. Finalement, le référent « Dieu » n’est pas seulement l’index des formes du discours de la foi. Il est aussi celui de leur inachèvement.

 

Gérard Leroy, le 27 septembre 2019