Pour Arnaud Alingrin, avec mon affection
La notion de « peuple », difficile à cerner, est aujourd'hui mise en scène.
Un peuple n'est évidemment pas une réalité « naturelle », car il n'est de peuple que selon des conventions formulées par les hommes. Saint Augustin avait remarqué qu'un groupe de bandits se donne aussi des règles, une discipline, une autorité. Mais ces règles peuvent être tyranniques, ou ordonnées au bien du groupe (du peuple). Peut-il donc y avoir un peuple sans des institutions justes ?
Cicéron définissait la république comme la chose du peuple (res populi) et le peuple « comme une multitude assemblée par le consentement à un droit et par la communauté d'intérêts » ; à quoi Augustin objecte que « là où il n'y a pas de vraie justice, il ne peut y avoir non plus de droit », là ne se trouve donc pas un peuple, ni une république.
L'évêque d'Hippone ajoute que « le peuple est une multitude d'êtres raisonnables associés par la participation dans la concorde aux biens qu'ils aiment », i.e. « pour savoir ce qu'est un peuple, il faut considérer l'objet de son amour ». En ce sens, le peuple romain était bien un peuple et « sa chose la république », ce qui vaut d'ailleurs pour les Grecs, les Égyptiens et autres républiques. Car tous aiment leur cité et sont capables de l'instituer dans la justice.
Nos sociétés sécularisées, nos démocraties « impies » pour parler comme Augustin, ne seraient pas de vrais systèmes populaires ni républicains, à cause de l’absence de fondements religieux. C’est ce qu’ont retenu la Hongrie et la Pologne, qui ont fait du christianisme la base du politique. N’y a-t-il pas là la crainte d’une menace d'un « grand remplacement », comme il se dit aujourd’hui, de la religion traditionnelle encore en vigueur dans nos pays par l’islam ?
Il est bien difficile de s'aventurer à définir le concept de « peuple », car l'identification entre « peuple » et « nation » ne va nullement de soi.
On peut retenir toutefois qu'il n'est pas de peuple sans organisation institutionnelle, sans un système de lois, écartant la violence, assurant cette sécurité qui, pour Thomas Hobbes dans son Léviathan, est la valeur fondamentale de toute « condition politique ».
L’idée proprement moderne du peuple n'est ni celle d'Aristote, ni celle d'Augustin, ni de Rousseau, qui parlait à tort d'une « souveraineté populaire » dans un mimétisme redoutable avec la souveraineté divine ou royale et qui refusait les partis au profit d’une « volonté générale ». Il ne peut y avoir de peuple sans une organisation institutionnelle, et l’on peut alors évoquer la définition de peuple donnée par Jacques Maritain : « Le peuple, écrivait-il, est la multitude de personnes humaines qui, unies sous de justes lois, par une amitié réciproque et pour le bien commun de leur existence humaine, constitue une société politique ou un corps politique », « le peuple étant la libre et vivante substance du corps politique ; le peuple est au-dessus de l'État, le peuple n'est pas pour l'État, l'État est pour le peuple ».
Gérard Leroy, le 26 avril 2019