Pour Michèle Lévy, en hommage amical
Une interview éclairante du rédacteur en chef de Philosophie magazine, spécialiste de la pensée russe, est parue dans le n° des Études de mai 2022. Michel Eltchaninoff nous informe sur la formation « très soviétique » de V. Poutine né dans une Leningrad à laquelle les nazis avaient imposé un blocus dont le jeune Poutine a du mal à se remettre. Il est le troisième enfant de cette famille ouvrière qui en a déjà perdu 2 en bas âge. Son père, soldat de l’Armée rouge, a été blessé grièvement à la jambe durant cette Seconde Guerre mondiale. Sa mère survécut plus de deux ans au siège de Léningrad. Laissée pour morte elle fut sauvée par son mari de retour de l'hôpital. Après la guerre, le couple travailla à l'usine ferroviaire de Léningrad. C’est sur ce terreau que germa son désir de vengeance.
L’élève Poutine est médiocre, bagarreur. Son institutrice le prend sous son aile et l’emmène visiter les musées de Léningrad. Il y découvre un peu ce qu’est le monde. Vladimir Poutine est sportif et pratique très tôt la lutte et le judo. Il aime jouer au tennis, pratique le ski alpin, l'équitation et la natation.
Vladimir est fan des films vantant la figure de l’espion soviétique. Aussi Poutine a-t-il été attiré par le KGB qu’il a désiré rejoindre. Comme agent subalterne, il a été envoyé en Allemagne de l’Est dans les années 1980, puis s’est mis au service du maire libéral de Saint-Pétersbourg dans les années 1990, en organisant des détournements d’aides occidentales. Il intègre les milieux du banditisme, gravit les échelons, travaille au Kremlin, puis prend la tête du FSB avant de devenir Premier ministre de Boris Eltsine, qui confiera au Président américain qu’il avait fait une erreur en choisissant Poutine comme successeur.
Poutine est à la fois marqué par la Seconde Guerre mondiale, attiré par le service de la grande nation soviétique, et par l’hostilité à l’Occident. Tout cela participe à la grande « opération spéciale en Ukraine ».
Quel est plus précisément son moteur ? Il reprend une idée de l’influent ethnologue Lev Goumiliov qui a associé la force vitale d’un peuple à son environnement, ce qui justifie l’expansion à donner à la Russie dont les potentialités demeurent.
L’agression russe n’est donc que la conséquence de cette prétention à la légitimité pour la Russie de déployer sa force vitale, c’est-à-dire notamment de défendre les populations russophones et orthodoxes hors de Russie, et d’affirmer sa puissance.
Depuis le début des années 2000, le Président a sa propre interprétation de la confession orthodoxe. Il en a pris les aspects les plus conservateurs, puisqu’il valorise la famille traditionnelle, hétérosexuelle, et qu’il prétend que cette vision du monde vient du christianisme et de la confession orthodoxe. Il a besoin de l’orthodoxie pour donner une assise religieuse et spirituelle à ce qu’il appelle les « valeurs traditionnelles ». Il a appelé l’Église orthodoxe à la rescousse pour construire un discours anti-occidental, anti-mariage gay, anti-woke, etc.
Sur quoi s’appuie historiquement Poutine pour agir ainsi ? L’histoire a commencé à définir la Russie avec Pierre le Grand au XVIIe siècle, avec la Grande Catherine au XVIIIe siècle. Ils avaient tous les deux un tropisme européen au service d’une politique très éloignée de celle de Poutine. Elle s’est poursuivie avec les grandes entreprises coloniales du XIXe siècle. Poutine se veut l’héritier de tous ces grands Chefs d’Etat russes.
Il retient encore les racines chrétiennes, notamment byzantines, de l’Europe. Et s’en prend à l’Europe occidentale oublieuse de ses racines, décadente, ouverte à la dégradation morale. Comme pour mieux se renforcer il affirme l’unité des peuples russe et ukrainien, répétant que « Kiev est la mère des villes russes », s’appuyant sur ce baptême du prince de Kiev, au Xe siècle, en communion avec le Patriarcat de Constantinople qu’il éloigne aujourd’hui pour avoir reconnu l’Église orthodoxe d’Ukraine autocéphale.
Certes les Russes et les Ukrainiens ont adopté ensemble la foi orthodoxe, ils parlent la même langue et ils ont appartenu entre le IXe et le XIIIe siècles, à la principauté de la Rus’ de Kiev. Il est vrai que les historiens russes du XIXe siècle considéraient que l’Ukraine était le « berceau » de la Russie.
Que faire de la Russie, de son passé soviétique ? Poutine a pris une décision politique. De la Russie pré-révolutionnaire, il a pris la confession orthodoxe, il a cultivé l’idée de la valorisation de l’Église orthodoxe et de ses valeurs. Il a commémoré la victoire sur le nazisme. Mais ce qu’il a retenu de plus important, selon Michel Eltchaninoff c’est l’empire. Poutine veut-il reconstruire l’empire soviétique ? En a-t-il les moyens ?
Sur la question des nationalités, l’attitude de Poutine est proche de celle de Staline, puisque, dans sa création de l’URSS Staline proposait que l’Ukraine intègre l’État russe.
Si la Russie poutinienne exerce une fascination auprès d’un certain nombre de milieux occidentaux, serait-ce parce que la Russie est présentée comme le pôle conservateur du monde, représentant en cela une droite radicale qui s’identifie à ses valeurs conservatrices ? Pour sa culture musicale et ses lettrés ? Ou bien pour renforcer la critique de l’impérialisme américain ? Allez savoir !
Gérard Leroy, le 30 mai 2022
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