Pour Henri-Luc Camplo, en hommage amical

   Avec le pape François, nous sommes en présence d’un leader spirituel dont le ton et la rhétorique lui sont propres. Son tour de force, dans cette encyclique, est de faire la synthèse de toutes les pensées « vertes »  déversées depuis un demi-siècle.

En faisant l’état des lieux (§46), François énumère les défis d’un immense chantier, qui comprend l’exclusion et la fragmentation sociales, la consommation croissante de drogues, la perte d’identité, le réchauffement climatique, l’inégalité dans la consommation d’énergie. Et tandis que les « guerres de l’eau » surgissent de l’Asie au Moyen-Orient, le pape François souligne que « l’eau disponible se détériore » (§30). Devant ce monde défiguré, abîmé, pollué, dévasté, qui « gémit en travail d’enfantement » (Rm 8, 22), François dénonce, parmi les causes, une joyeuse irresponsabilité (§59), l’idéologie de puissance véhiculant le mépris des pauvres, la sacralité de la propriété privée (§67), la puissance des secteurs financiers, en regard desquels les projets politiques n’ont pas la largeur de vue nécessaire (§57).

En parlant de « conversion écologique », l’encyclique promeut une autorité écologiste et altermondialiste sans précédent. Elle fait grincer des dents les conservateurs américains, comme la Tea Party de Sarah Palin, elle favorise la jonction entre les milieux politiques et intellectuels qui s’ignorent depuis des lustres, elle re-stimule la foi en l’humanité.

Le défi qui nous est lancé sollicite la nécessaire prise de conscience d’une solidarité à l’échelle mondiale. La réforme du système économique qui prend l’eau n’est pas l’exclusive de nos efforts. Il y a la lutte pour les droits de l’homme dans les pays émergents, comme il y a la lutte pour la défense des droits de la Terre. Les pouvoirs de la science nous ont ouvert des voies insoupçonnées il y a un demi-siècle, mais qui ne sont pas sans danger. La question clé c’est la maîtrise rationnelle de l’homme : comment prévenir les effets pervers de ce que nous expérimentons aujourd’hui comme progrès ? Comment faire que la terre soit encore habitable par les générations futures, thème que nous invite à réfléchir Jürgen Habermas dans son Principe de responsabilité. C’est toute la question de l’auto-limitation du pouvoir humain qui se pose.

Face à l’éventualité d’un chaos écologique d’ordre planétaire, une théologie de la création devient plus urgente, en ce qu’elle peut donner un fondement radical à notre confiance dans l’avenir, dans la vie, dans l’homme. Le théologien allemand Jürgen Moltmann, soulignant le partenariat de Dieu et de l’homme, a parlé d’une justice écologique. Les monothéismes partagent la même foi au Dieu créateur avec la certitude que le Dessein de Dieu c’est la réussite de l’accomplissement de la vocation de l’homme-image-de-Dieu comme intendant du monde qui lui a été confié.

Les libertés humaines se mobiliseront-elles pour inverser le cours fatal des choses ? Les mentalités ont été interpellées par cette encyclique. Les altermondialistes proclament qu’ « un autre monde est possible » et Edgar Morin lui-même reçoit cette encyclique comme « providentielle ». Dans ce désert actuel, écrit E. Morin, surgit « ce texte tellement bien pensé, et qui répond à cette complexité ! », où François définit « l'écologie intégrale », qui touche en profondeur nos vies, notre civilisation, nos modes d'agir, nos pensées.

La foi chrétienne stimule la conscience de notre responsabilité propre. Nous avons tendance à nous tourner toujours vers l’État. Quand il y a 5 cm de neige devant notre porte, on se demande pourquoi l’État n’envoie pas des agents de la DDE pour balayer. Régis Debray, dans son petit livre Le Siècle vert (Gallimard, 2020) nous prévient : « Souvenons-nous, sans remonter jusqu’à l’imbécile « tout est politique » d’hier », de ce que disait Tocqueville et évitons de nous comporter comme l’Amérique que Tocqueville découvrait, où le gouvernement étendait son bras sur la société tout entière, « la couvrant d’un monceau de petites règles compliquées et minutieuses, devant lesquelles les esprits les plus fins et les âmes les plus vigoureuses sont étouffées. »

Le pape s’était prononcé en 2018 sur ce qu’on peut appeler une infantilisation croissante dans la remise totale des responsabilités à l’État : « Un fagot désœuvré est-il un obstacle sur mon chemin ? Ce problème doit-il être résolu par les responsables politiques ? ». Plus loin, François rétorque : « Cette pauvreté d’esprit est étroitement liée à la « sainte indifférence » vis-à-vis de tous les êtres créés, dotés de la même dignité que moi ». (Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, § 98).

C’est un devoir de se pencher sur ce fagot. Chacun de ces êtres créés est assigné au co-partenariat avec Dieu dans le dessein que Celui-ci a pour le monde, qui ne peut s’accomplir ni sans Dieu ni sans l’homme.

Le § 246, le dernier, nous engage à être protecteurs du monde, et non ses prédateurs, pour que nous semions la beauté et non la pollution ni la destruction ; nous avons à découvrir la valeur de chaque chose, à contempler, à nous émerveiller, à reconnaître que nous sommes profondément unis à toutes les créatures. C’est par une prière que le pape termine son encyclique, demandant à Dieu de nous guider dans cet apprentissage.

 

Gérard Leroy, le 7 janvier 2021