Pour Bernard S, en prolongement de nos échanges
Les thèmes du théâtre grec d’Eschyle, d’Euripide, ou de Sophocle s’articulent autour de la relation des hommes avec leurs dieux. En Grèce, le sacré exprime le sentiment d'effroi en présence de la divinité, vis-à-vis de laquelle l'homme a un comportement de respect mêlé de crainte religieuse. Dans la pensée hellénistique, sacré devient l’épithète de la transcendance divine. La consécration est une mise en relation avec les dieux. Les objets et les lieux sont comme porteurs de caractère surnaturel. De là dérive l'inviolabilité des lieux sacrés de culte.
Rappelons que la religion romaine montre le personnage de Jupiter en regard duquel l'homme veut mettre sa vie en conformité avec sa volonté. Parce que le roi est choisi par les auspices, et donc en conformité avec la volonté des dieux, sanctus est sa qualification ; des magistrats sont sanctis et les sénateurs sont patres sancti.
L'origine psychologique du concept de sacré est à chercher dans la réaction de l'esprit devant ce qui est surprenant, surnaturel. La force sacrale vue par les sociologues et par les ethnologues est une puissance de nature spirituelle dont le dynamisme rejaillit sur le comportement de l'homme qui la découvre comme une réalité surnaturelle.
E. Durkheim et M. Mauss ont situé le sacré aux origines de la société, comme opposé au profane ; il est une force collective surajoutée au réel ; la violence serait fondatrice du sacré (cf R. Girard). Les recherches sociologiques, de Mauss, de Durkheim, de René Girard en particulier, résident dans leur insistance sur la puissance que représente le sacré considéré comme une entité mystérieuse liée à certains êtres, certaines choses, lieux ou événements.
Les regards sont différents. Ainsi les sociologues réduisent la religion à un fait naturel ; les historiens la regardent avec des yeux profanes et dans une optique uniquement historico-culturelle ; d'autres inscrivent le phénomène au centre de la science des religions, dont l'étude semble inséparable de l’étude anthropologique et des comportements de l'homme. Les trois faces du sacré sont alors répertoriées ainsi : le sacré numineux (puissance agissante), le sacré comme valeur, le sacré comme catégorie a priori de l’esprit.
La recherche phénoménologique et les essais d’herméneutique de Mircea Eliade ont modifié les voies d’approche du sacré, qui, selon lui, entre dans le monde des phénomènes et se manifeste comme une puissance d’un tout autre ordre que les forces naturelles. Selon le terme choisi par M. Élias, la « hierophanie » se manifeste dans l’espace et dans le temps, jamais à l’état pur mais à travers une réalité autre que lui-même. Si bien que, en revêtant de sacralité un être ou un objet, l’irruption du divin le constitue médiateur et le détache en quelque sorte du monde profane. Éliade a fait valoir que le sacré se révèle à l’homme religieux comme une puissance transcendante qui a sa source dans la divinité, l’Être suprême, les dieux cosmiques, les dieux en général, mais aussi le Dieu souverain, Yahvé, le Dieu des chrétiens.
La fonction de médiation du sacré s’exerce par le symbole, par le mythe, par le rite. Par le symbole le monde parle et révèle les modalités du réel pas évidentes ; le symbole est le langage de la hiérophanie, permettant d’entrer en contact avec le sacré ; le mythe est une histoire sacrée, fournissant aux hommes un modèle de conduite (cf. la mythologie grecque) ; l’effet du rituel est de conférer une dimension sacrale à des êtres, des objets, à des fractions de temps ou d’espaces, à des hommes.
Gérard Leroy, le 8 juillet 2022
Bibli sommaire :
E. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, 1912
M. Éliade, Le sacré et le profane, 1965
M-J Congar, Situation du sacré en régime chrétien (in La liturgie après Vatican II), 1967
R. Girard, La violence et le sacré, 1972
R. Bastide, Le sacré sauvage, 1975