Pour notre Tatie Jackie, entrée dans la résurrection ce jeudi saint
En Israël, la croyance en la résurrection s’est exprimée dès le début du IIe s. av J.C., le peuple se disant que puisque Dieu est juste il ne peut pas laisser dans le chéol ceux qui ont toute leur vie affirmé que Yahwé est le vrai Dieu. Notons qu’à la différence des Grecs ou des Égyptiens, les juifs n’ont pas d’emblée cru à l’immortalité de l’âme et à la résurrection des corps.
"Jésus est ressuscité !" Qu'est-ce à dire ?
Devant la résurrection de Jésus, nous nous trouvons face à un cas particulier, où se joignent fait et mystère. Le fait est constaté, rapporté, conformément à l’anthropologie juive de l’époque : le corps de Jésus n’est plus mort. L’histoire de Jésus de Nazareth, du seul point de vue humain, s’arrête à sa mort. La Résurrection —fait et sens— est l’événement eschatologique à la frontière de l’histoire et de l’éternité.
Comment l’expriment les premières communautés ? Les disciples éprouvaient toutes les difficultés à faire admette la singularité de la nouvelle qu’ils annonçaient. Le défi à relever, pour les disciples, allait
être de dire ce qu’ils avaient vu et entendu, i.e. de témoigner de la vie, de la mort, et de la résurrection de Jésus, de témoigner de l’intronisation messianique dans l’histoire. Cependant, si difficile qu’apparut leur tâche —et que sans aucun doute elle le fût— les apôtres n’ont pas douté de sa nécessité. Ils avaient la conviction qu’avec Jésus le Nazaréen la réalisation du plan de Dieu entrait dans sa phase décisive, conformément à l’annonce faite par les prophètes.
Jésus est ressuscité corporellement. Mais Jésus meurt à sa particularité pour renaître en figure d’universalité concrète. Jésus de Nazareth s’est sacrifié à Jésus en tant que Christ. Paul Tillich a écrit que “le Christ de Jésus est la négation de Jésus de Nazareth.”
Le corps ressuscité de Jésus n’est pas en rigueur de termes un “cadavre réanimé”, mais plutôt un corps spirituel (cf St Paul 1Co 15, 44-46). C’est ce corps ressuscité qui s’unit au corps ecclésial, l’Église.
La première lettre de Paul aux Thessaloniciens, écrite probablement à l'automne 50, reflète bien les formulations des premières communautés chrétiennes. Jésus mourut et "se leva", dit Paul au ch IV. Le grec n’a pas d’autre mot que le verbe “se lever”, anistèmi, pour dire “ressusciter”. Au cours des quarante jours qui suivirent Pâques, Jésus est “apparu” (gr: ophté, : “il se laisse voir”). “Il a été vu, ajoute Paul, de Képhas et ensuite des douze.” Ces affirmations sont centrales.
L’événement s’est déroulé dans l’espace et le temps, sub Pontio Pilato, autrement dit dans l’histoire. La Résurrection, historique, est révélée par des témoignages, celui des femmes (les premiers témoins), des disciples, des pèlerins d'Emmaüs, de Paul enfin. La Résurrection, historique, envoie en mission ces mêmes témoins, les femmes, les disciples, Paul. La Résurrection, historique, si invraisemblable qu’elle apparaisse, est le fondement de la foi des chrétiens.
L’historien, en regard de cet événement, bute contre un événement historique qui le provoque, il est sollicité par le témoignage des apôtres sur leur expérience de rencontre. En fait tout homme confronté à ce texte rapportant la Résurrection de Jésus se trouve interpellé par ce texte. Il ne lui est plus possible de le rejeter sans vérification, sans travail herméneutique.
Cependant, les récits historiques, passés au crible de la critique textuelle, permettent d’accéder à une vérité signifiante plus importante que le support historique. La vérité de la foi se situe au-delà d’un simple point de vue scientifique ou philosophique, une vérité impossible à transmettre sans le secours, le détour du symbole qui apporte une certaine purification de la foi, ramenée à son noyau essentiel, par la dure ascèse des conclusions du savoir scientifique.
La Résurrection de Jésus nous plonge dans une perspective eschatologique : la résurrection générale aura lieu à la fin des temps. C’est ce qui fait dire à Paul que nous sommes déjà ressuscités. Pour tout chrétien, le message pascal est contact avec un Vivant, qui est là, présent, dans la totalité de son être, pleinement réel et corporel, même si ses conditions ne sont plus les mêmes que jadis. Ce vivant vient cheminer avec nous, offrant de partager sa Parole et son Pain.
Tout le vécu humain trouve dans l'Évangile, dont le centre est la Résurrection, son centre d'universelle ré-interprétation. Pour les premières communautés chrétiennes ce ne sera plus après comme avant.
Les participants à l’anamnèse deviennent contemporains et bénéficiaires de cet Événement. Dès lors, de tous temps, de toutes générations, de toutes les couleurs dont l’histoire nous habille, chacun doit se considérer comme si lui-même avait été libéré, comme si lui-même était sorti d’Égypte, libéré. La sortie d’Égypte est comme le symbole, l’archétype, le paradigme de toutes les révélations. Tout cela “à cause de ce que l’Éternel a fait pour moi quand je suis sorti d’Égypte”, dit la Mishna.
Cène, Crucifixion, Résurrection
La Cène est l’anamnèse qui donne du futur à la mémoire. La crucifixion et les dernières paroles du Christ attestent de la condition tout humaine de ce Yehôchûa. La Résurrection est l’invitation faite à l’humanité de suivre le 1er ressuscité d’entre les morts.
La Pâque nouvelle est instaurée par le Fils de l’Homme, lequel est traversé au moment de rendre son dernier souffle par la même angoisse qui traverse tout homme au moment de fermer les volets : “Abba, Père, pourquoi m’as-tu abandonné ?” i.e. “Pourquoi n’es-tu pas là ?”
Pourquoi n’es-tu pas là ?”, c’est le cri même de ces femmes qui ont constaté que le tombeau était vide : “Où l’avez-vous mis ?” demandent-elles aux disciples. Nous aurait-il abandonné ?” Pourquoi n’est-il pas là ?
Les premières paroles de la Résurrection sont l’écho même des dernières paroles de Jésus de Nazareth.
Le christianisme est fondé par une Absence originaire, par le manque, le retrait. Les chrétiens ne sont fidèles à leur singularité propre que pour autant ils font la preuve que loin d’appartenir à une religion impérialiste et inclusive, le christianisme se définit par la kénose du Dieu de Jésus-Christ et du Christ lui-même. L’expérience chrétienne est d’abord l’expérience de cette origine toujours manquante qu’est l’altérité même de Dieu, que vient nous rappeler pour nous relier à lui, l’Esprit.
Gérard LEROY, le vendredi saint 3 avril 2015