Pour Florin Dumitrescu, en hommage amical

   Le président de « toutes les Russies » doit conjuguer avec un conflit entre les importantes communautés orthodoxes dont les patriarcats siègent à Constantinople, Moscou et à Kiev. Une forte rivalité en effet est établie entre les sièges primatiaux des Églises régionales de Moscou et de Kiev, d’une part, de Moscou et de Constantinople d’autre part. Le patriarcat dit « œcuménique » de Constantinople et le patriarcat de Moscou visent l’hégémonie, même s’ils s’en défendent. Pendant la Guerre froide, cette rivalité épousait la rivalité Est-Ouest. La guerre en Ukraine révèle un peu plus la division des orthodoxes.

Jusqu’au XVIIe siècle, le patriarcat œcuménique a maintenu la subordination de la circonscription de Kiev. Les métropolites étaient d'ailleurs, pour la plupart, des Grecs appointés par Constantinople. À la faveur des bouleversements politiques qui ont jalonné ce siècle, le patriarcat de Moscou a demandé au patriarche œcuménique de Constantinople la tutelle sur la circonscription métropolitaine de Kiev. Accordé, en 1686.

Au début du XXe siècle, l’Ukraine cherche à s’émanciper sur les plans politique et ecclésiastique. Le bolchevisme freine. L’église orthodoxe d’Ukraine est liquidée en 1930. En 1989, à la faveur de l’effondrement de l’URSS, l’église ukrainienne est rétablie. L’année suivante meurt le patriarche Pimène de Moscou ; un an plus tard le patriarche œcuménique Démètre, qui siège à Constantinople, meurt à son tour. Notons que l’Église orthodoxe fonctionne de manière assez monarchique qui renforce l’importance de la personnalité des chefs d’Église et leur influence décisive.

Deux candidats se présentent à la succession du patriarche Pimène de Moscou : le métropolite de Léningrad, et le celui de Kiev. Le premier est élu patriarche sous le nom d’Alexis II. Philarète, rentré bredouille à Kiev, fait sécession, et en 1995, s’auto- proclame « patriarche de Kiev et de toute la Rus’-Ukraine ». Des jugements canoniques à Moscou suspendent Philarète de Kiev. On le prie de s’en tenir au statut de moine, puis on l’excommunie. Le patriarcat œcuménique de Constantinople prend acte de ces sanctions. Philarète, lui, introduit une requête en cassation.

Le 2 octobre 1991, le patriarche de Constantinople Démitrios Ier meurt.

Le successeur de Démitrios est l’actuel patriarche Bartolomeos. Celui-ci s’est formé à la théologie à l'Institut de Halki, une île de la mer de Marmara près d’Istambul, puis à l’Institut pontifical de Rome. Il présentera sa thèse à la Grégorienne de Rome, avant d’être ordonné prêtre en 1969, puis archimandrite (titre honorifique dans les Églises de rite byzantin conféré aux prêtres qui assument une charge importante) par le patriarche Athénagoras. Il est nommé patriarche œcuménique en 1972.

Le 22 octobre 1991, Bartolomeos est élu par le Saint Synode 270e « archevêque de « la nouvelle Rome ». Mgr Bartholoméos Ier devient patriarche œcuménique le 2 novembre 1991. Cette fonction fait de lui le chef spirituel des 300 millions de chrétiens orthodoxes. Les populations avaient alors conscience que leurs représentants ecclésiastiques étaient tout autant des envoyés de leur hiérarchie ecclésiale que des serviteurs de l’État.

Bartolomeos a voulu que le concile de 2016, fixé en Crète, se déroule sous son pontificat. Quelques jours avant l’ouverture du concile, le patriarche Kyrill de Moscou, suivi par ceux d’Antioche, de Bulgarie et de Géorgie, décident de snober le concile et même de le considérer comme nul et non avenu. Le patriarche Bartolomeos en a été si affecté qu’on a supposé que ce monarque vexé se soit vengé envers le patriarche de Moscou qui lui avait gâché sa « fête ». Du coup  Bartolomeos annule, en 2018, la subordination de l‘Ukraine à Moscou jusqu’à reconnaître le patriarcat de Kiev autocéphale. Kyrill s’empresse de déclarer Bartoloméos apostat.

Aujourd’hui, Kyrill accompagne la division Wagner en Afrique, fustige les forces du mal, occidentales. Il bénit le duo politico-religieux du Kremlin, régit les confessions, codifie les mœurs, se fait l’aumônier des oligarques et se taille une belle fortune. Il s’assure de la docilité des hiérarchies biélorusses et ukrainiennes.

L’Eglise orthodoxe ukrainienne docile à la juridiction de Kyrill, compte 12400 églises, tandis que l’Église orthodoxe autocéphale d’Ukraine compte 7200 églises.

 

Gérard Leroy, le 9 décembre 2022