À Bernard et Véronique, à Jacques et Anita de Saint-Exupéry, à Noëlle et Marc Henroteaux, à Sophie de Potter, en écho à un sympathique échange

   Des revendications originelles des « gilets jaunes », légitimes et approuvées parce que partagées par une majorité de Français qu’agacent et contraignent les augmentations des charges, aux attroupements d’individus violents, on en est arrivé à une impasse que Raymond Aron traduisait ainsi : « Révolution impossible, paix sociale improbable. » 

Bien des commentateurs fort au fait des sciences humaines, de la politique ou de la psycho-sociologie nous ont instruits de leurs analyses pertinentes de la situation présente que j’ose rapporter, du moins en partie, au problème soulevé par l’imaginaire qu’on appelait jadis « l’imagination » qui fait moins savant. L’imaginaire se développe en effet  aujourd'hui d’une manière inconcevable dans toutes les logosphères, twitter, facebook, instagram et autres réseaux sociaux, dans lesquels les représentations sont érigées en vérités, assénées de façon péremptoire, sur lesquelles on construit des systèmes plus ou moins rationalisés, souvent moralisants, en leur donnant une couverture pseudo-intellectuelle pour les rendre crédibles. Ainsi sont diffusées à profusion toutes sortes d’informations fantaisistes, ou carrément mensongères, en tout cas contagieuses.

Le mouvement des gilets jaunes a pris la forme, peu à peu, d’une nébuleuse plus ou moins structurée d'individus rassemblés souvent par des affinités que des raisons professionnelles ou sociales rapprochaient. Ces gens ont tissé des groupuscules qui se sont étoffés pour finalement constituer des collectifs de réseaux radicaux alimentés et renforcés par des relais médiatiques, ou des librairies proches de l’idéologie anarchiste. Ils profitent du soutien d’intellectuels, de journalistes militants, d’universitaires ou même d’artistes en quête de reconnaissance autour de figures de proue telles que le philosophe Alain Badiou. Ainsi s’est densifié la « nébuleuse » dès lors en pleine croissance. 

Le phénomène des « gilets jaunes » a remis au premier plan la question de la violence politique. Nombreux en effet sont les « gilets jaunes » qui estiment que la violence est le seul moyen de se faire entendre. Entendre par qui ? Par des responsables politiques qu’il faudrait supprimer ?

La tentative de récupération politique apparaissait délicate en regard d’un mouvement protestant contre la hausse des taxes sur les carburants  et qui déclarait sur les réseaux sociaux qu’il ne se revendiquait d'aucun parti ni d'aucun syndicat. Progressivement, les mouvements se sont révélés, se situant idéologiquement à l’extrême, gauche et droite en concurrence parce qu’identiques, s’exprimant de manière violente. À travers Lutte ouvrière, le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), la logique anticapitaliste et révolutionnaire s’est intensifiée, les trotskistes étant pris dans un étau entre la France insoumise, dont le titre même dénie toute appartenance à la démocratie, et l'extrême gauche activiste.

Le numéro de mai 2019 de la revue Les Études, sous la plume du chercheur Eddy Fougier, relève deux traits communs de l’anarchisme et de l’ultra-gauche. Le premier, qui s'inspire du socialisme libertaire, consiste à rejeter l'État et le capitalisme, vision qui se traduit par un rejet des forces de l'ordre assimilées à la « violence de l'État ». Le second trait commun est dans l’action, la plupart du temps de façon illégale, ayant recours au sabotage ou à la « casse, en faisant l'apologie du « saccage ». Car la casse vise des symboles de l’État, du capitalisme, ou même de l'arrogance bourgeoise (voitures de luxe, hôtels particuliers). L'idée sous-jacente est d’allumer et d'assumer un conflit avec l'État et les représentants du capitalisme.

Le capitalisme est un système économique, à ne pas confondre avec le libéralisme qui relève de la philosophie. Nous n’entendons pas de critique ontologique du capitalisme, et nous restons dans l’attente d’une alternative économique dont la faisabilité reste aléatoire dans un monde qui fonctionne sur le mode capitaliste. Nous n’entendons que les reproches adressés, légitimement, à un exercice du capitalisme dénué d’éthique et par effet secondaire immoral.   

Voilà où nous en sommes. 

L’antidote de cette situation de crise serait bien dans la solidarité, dans la ré-union de toutes les diversités, non seulement culturelles mais aussi de toutes les familles d’esprit, sans rejet a priori, pour un dialogue constructif, tourné vers demain. La solidarité, c’est l’antidote contre les populismes modernes, toutes ces« poussées centrifuges » gonflées d’égoïsme, tentées par le pouvoir, sans le moindre sens collectif, du bien commun, du devoir et de la responsabilité.

La proposition est utopique. Après avoir vécu dans un climat de conformisme social, politique, économique, après s’être conformé à toutes les machines qui font tourner le monde, les institutions, leurs sécurités, leurs dogmes, il s’agirait de remettre tout cela en question, non pour détruire, mais pour stimuler l’imagination prospective, déceler dans le présent tous les possibles ignorés, et orienter vers un avenir neuf, débarrassé des préjugés dont on créé des systèmes qu’un habillage plus ou mois rationalisé veut rendre crédibles.  

 

Gérard Leroy, le 10 mai 2019