Pour Bruno et Rachel, en hommage affectueux

   Au milieu du XVe siècle le métropolite de Kiev obtient son autonomie vis-à-vis de Constantinople et celui de Moscou devient métropolite de toute la Russie. En 1686 le patriarcat de Moscou demande à placer l’Ukraine sous la juridiction de Constantinople. Accordé. Pierre Le Grand dissout le patriarcat de Moscou pour devenir chef de l’Église, patriarcat rétabli en 1917, à l’aube de la persécution des chrétiens par le régime. En 1993 le Conseil mondial du peuple russe subordonne la foi orthodoxe aux intérêts nationaux.

Une vision nouvelle succède aux approches ukrainiennes de la Russie depuis l’autonomie du patriarcat orthodoxe de Kiev vis-à-vis de celui de Constantinople au XVIIe.

Aujourd’hui, depuis l’annexion de la Crimée en 2014, les Russes exhument comme argument le baptême du prince de Kiev, au Xe siècle, qui a été célébré en communion avec le Patriarcat de Constantinople, dont l’actuel patriarche Bartolomeos a été arbitrairement anathématisé en 2018 par celui de Moscou, Kyrill, qui aspire à le remplacer comme primat de l’Église orthodoxe.

On est à un point de basculement. Auparavant, sans sympathie particulière pour le pouvoir russe les Ukrainiens n’éprouvaient pas d’animosité vis-à-vis de la population russe, en dépit du souvenir de la famine infligée par Staline, l’Holodomor rappelée récemment par le pape François, qui a fait entre 3 et 5 millions de morts dans l’hiver 1932-1933. C’est l’annexion despotique de la Crimée qui a transformé la vision des Ukrainiens. Cette situation récente, inconcevable, vient d’identifier leur voisin à un ennemi.

L’Ukraine, profondément pacifique, ne disposait plus d’une armée suffisante quand l’ « opération militaire spéciale », a été déclenchée dans le Donbass. Il a paru dès lors aisé à l’expansionniste Poutine,  d’absorber l’Ukraine.

Plus que son armée perçue comme incapable de défendre l’État, c’est la société ukrainienne qui s’est engagée. Les citoyens ont pris les armes. L’armée ukrainienne a pris la suite, s’est impliquée, consolidée, sans que les citoyens ne désarment. Le soir du 23 février 2022, les Ukrainiens étaient préparés, depuis 2014, à entrer en guerre.

Le président Volodymyr Zelensky a pris une épaisseur politique qui fait l‘admiration du monde entier. L’armée est devenue soudain populaire, et n’a cessé de croître en popularité depuis 2015. Elle s’est adaptée et a su se réformer. Épurée de ses éléments jugés collaborationnistes pro-russes la nation ukrainienne s’est engagée de manière permanente et, sous la conduite de son président, le pays et son armée ont noué des partenariats avec d’autres armées européennes et avec l’OTAN. L'armée s’est donc formée, nourrie d’autres pratiques, avec une grande faculté d’adaptation, courage et créativité. Toujours méfiants à l’égard de leurs institutions les Ukrainiens ont cependant accordé leur confiance, même modérée, à leurs forces armées.

Tout l’Occident, les Russes de même, ont été surpris par les capacités de résistance de la population et de l’armée ukrainienne, comme de la résilience de son État. Les pouvoirs locaux et les services publics ukrainiens ont fait preuve d’une capacité de reconstruction immédiate des installations énergétiques bombardées, du rétablissement des réseaux sociaux endommagés etc. L’électricité, l’eau, tout ce qui représentait la présence de l’État sur le territoire a été rétabli au fur et à mesure des destructions, plus efficacement qu’on ne l’aurait imaginé. Non seulement l’État ne s’est pas délité, mais il s’est consolidé, du plus haut niveau au plus local.

Le faiblesse de l’État Ukrainien était auparavant cultivée par la dénonciation permanente, la corruption de ses membres et l’incompétence du personnel politique. La population retrouvera un jour son esprit critique, sa défiance des institutions, dès que l’Ukraine sera pacifié. Je doute qu’on en vienne à manquer de gratitude à l’égard du Président Zelensky… Mais une critique permanente n’est-elle pas le moteur puissant de ce peuple ?

C’est l’un des points faibles de V. Poutine que d’avoir surévalué sa propre force militaire, sous-évalué la résistance de l’Ukraine, et cru en la désunion délétère de l’Europe. Mauvaise pioche !

Vue de l'Occident l’Ukraine a déjà gagné contre une Russie gouvernée par un pouvoir qui ne représente pas son peuple inhibé par une autorité manipulatrice, mensongère, autocratique, dictatoriale.

 

Gérard Leroy, le 31 mars 2023