Pour Bernard Schürr, en intro au dialogue  qu’il a ouvert. Avec mon amitié.

   À Sumer, trois termes expriment le sacré, la pureté originelle, la primauté, la justice. Le sacré se présente comme inséparable de la cosmogonie sumérienne dont le Dieu Mardouk, à Babylone est chargé du bon ordonnancement du cosmos. Dans l’Avesta, parce que les archanges qui entourent Zarathustra sont dotés de puissance surnaturelle, fécondante, ils sont sacrés.

Homère a exprimé la crainte toute religieuse, l’effroi en présence de la divinité, qui conduit l’homme a un respect mêlé de crainte. La mise en relation avec les dieux s’opère grâce aux objets et aux lieux qualifiés porteurs d’un caractère surnaturel. De là dérive l’inviolabilité des lieux de culte. Hagios est bien l’épithète de la transcendance divine.

La religion romaine, mise en évidence par G. Dumezil, montre deux pôles : d’une part le dieu principal, Jupiter, souverain céleste ; d’autre part il y a l’homme qui veut mettre sa vie et ses actions en conformité avec la volonté des dieux.

Dans l’Ancien Testament, les textes du Xe s. BC relient le sacré au culte. On insiste sur la purification du peuple avant de s’approcher de Dieu. Au VIIIe s. BC on sanctifie le sabbat. En Ez 1, 4-14, le sacré apparaît comme la nature de Dieu, l’attribut de sa puissance et de son éternité. Les traducteurs alexandrins de la Septante, au IIe s. BC donnent à l’hagios de rendre le caractère transcendant de la divinité. Yavhé est le Dieu saint.

Le mot est univoque. Sacré n’est pas sacré pour tout le monde. Dans le Nouveau Testament, Jésus est hagios. En islam, sont Haram (interdits) les lieux sacralisés par la présence qu’on a désignée divine, par les actes religieux : la ka’ba, le Rocher de Jérusalem, le tombeau d’Abraham. Allah est source du sacré ; le Coran est sacré. Pour Mircea Eliade, le sacré se manifeste dans l’espace et dans le temps. Pour Eliade le sacré se révèle à l’homme religieux comme une puissance transcendante qui a sa source dans le divin. La fonction de médiation du sacré s’exerce alors par le symbole, par le mythe, par le rite. Le symbole est le langage de la hiérophanie et permet d’entrer en contact avec le sacré. Le mythe est une histoire sacrée. Le rite confère une dimension sacrale à des êtres, à des fractions de temps, à des espaces.

Toute création artistique comporte un refus d’une situation donnée et la mise en œuvre d’une liberté nouvelle qui s’affirme. L’art est « anti-destin » disait André Malraux. L’art a une dimension eschatologique. « il est anticipation du monde transfiguré » disait Nicolas Berdaiev. 

D’une manière générale « sacré » désigne tout ce que l’homme vénère au point d’en faire un objet de culte (ce fut ou c’est encore le cas en Argentine où Maradona est l’objet d’un culte !). Au cœur des cultes sont symbolisés les puissances qui se manifestent sur l’existence. La science des religions ne peut pas évacuer les expériences religieuses.

Ici il est judicieux de s’arrêter sur ce que l’homme entend par puissance lorsqu’il veut traduire le sacré. En fait, il présuppose une transcendance, une transcendance qui ne désigne pas ce mouvement de dépassement de soi, comme celui d’un athlète réussissant un exploit, mais renvoie à l’existence d’un monde au-delà du monde de la conscience, à un Être au delà de l’ »être », inaccessible, « suréminence inobjectivable », garant du sens de l’existence du monde de l’expérience. Ce serait peut-être là que se situe le cœur du religieux : dans le fait que l’homme ne se contente pas de son immanence propre et finie, mais qu’il se conçoive en référence à une transcendance, révélée ou pas.

 

Gérard Leroy, le 1 juillet 2022