Pour Bernard S., en hommage amical, 3/8
Etymologiquement le sacrement renvoie à deux concepts, le sacré et le sacrifice. Deux acceptions identifient le sacrifice à un acte, soit celui de l’accomplissement d’une cérémonie religieuse, soit celui par lequel un objet ou un acte profane est rendu sacré (M. Mauss, Essai sur le sacré). Ce fut jadis l’immolation d’un être vivant, une destruction rituelle. Ce peut être même « un renoncement en vue d’une fin religieuse, morale, ou même utilitaire »
Dès l’origine le système sacrificiel traduit la quête de l’homme de son origine, de sa fin, du sens de son histoire. On est là devant le chantier des sciences religieuses, et plus précisément de la science des religions. Si les notions de sacrifice en Mésopotamie, en Égypte, dans l’hindouisme ou chez les Grecs anciens présentent des particularités, le sacrifice est en chacune une mise en œuvre du sacré, inspirée par le mythe et conduit par le rite qui exprime les puissances, la croyance religieuse, la repentance, tout cela qui a fait l’objet d’études anthropologiques, sociologiques et d’histoire des religions. Ces travaux révèlent d’abord l’importance du sacrifice dans les sociétés traditionnelles, dépassant progressivement l’animisme, le totémisme et la magie.
Les réflexions de ces disciplines commencent par discerner l’objet sacrifié du sujet sacrifiant. L’approche commune de Hebert et Mauss considérant les aspects du sacrifice (consécration, offrande et oblations) placent le sacrifiant et l’objet sacrifié en communication avec la divinité, la chose consacrée servant d’intermédiaire entre le sacrifiant et la divinité. On rejoint là le besoin religieux, fondé sur l’attribution de la maîtrise de ce qui nous échappe à une transcendance vis-à-vis de laquelle on se met en relation de dépendance pour demander une faveur (le succès de notre équipe de foot !). Le don appelle le « contre-don ». Le sacrifice est l’acte même du désir religieux, où l’homme tend à s’approprier Dieu. Hébert et Mauss perçoivent encore la forme collective de la culpabilité au principe du sacrifice. (Cl. Lévi-Strauss, attentif à la réciprocité dans la communication entre le sacrifiant et la divinité, opte pour l’aspect essentiellement subjectif de l’acte sacrificiel, la divinité étant pour Lévi-Straus un fantasme).
Le sacrifice comme rite religieux ancien est répandu, complexe et ambigu comme tout ce qui appartient à l'histoire des religions. Il s’étend à perte de vue dans l'espace et le temps. Il concerne les pratiques sacrificielles de l'Ancien Testament, la sotériologie chrétienne et la théologie sacramentaire. On peut en donner approximativement une définition, bien qu’elle ne se vérifie pas dans tous les cas qui comprend le sacrifice comme l'acte par lequel un représentant de la communauté culturelle transforme rituellement une offrande sensible de telle sorte que celle-ci est retirée de l'usage profane pour être introduite dans le monde du sacré, comme expression de la propre remise de soi-même à Dieu.
En admettant qu’elle est acceptée et sanctifiée par Dieu, cette offrande devient dans le repas sacrificiel de la communauté liturgique le signe de la volonté de Dieu d’entrer en communion avec les hommes. Dans le Nouveau Testament ce qui se fait dans le culte n’est que le symbole d’un acte d’adoration qui s’exprime dans le sacrifice avec un caractère de louange, de demande, ou d’action de grâces.
La sacrifice vise à maintenir l’équilibre des relations de l’homme à dieu, poussées par l’angoisse d’un retour au chaos. Les exemples sont manifestes en Egypte ancienne (Recourir à Maât, c'est participer au maintien de l'équilibre moral et cosmique, c’'est échapper au retour de l'indistinction, du chaos originel, du tohu-bohu). À Rome la prière codifiée par la constitutio religionum doit assurer la pax, i.e. un juste équilibre entre la cité et les dieux (Tite Live). Le sacrifice agit le sacré du côté de l’homme lorsque celui-ci reconnaît son état de dépendance de créature inachevée.
Il reste la présence du Christ, victime innocente dont la mort et le pardon, au delà du système sacrificiel né de la violence et du sacré, délivrent l’homme du mécanisme victimaire des religions.
Gérard Leroy, le 15 juillet 2022
Bibli : Louis-Marie Chauvet, Symbole et sacrement : une relecture sacramentelle de l'existence chrétienne, Cerf 1987 (Coll. Cogitatio Fidei) (582 p.)