Pour Bruno et Bertrand, avec affection
En cette fin d’année des braises brûlent encore sur quelques ronds-points, et crépitent dans les réseaux sociaux. C’est ainsi que le nouveau monde s’exprime. Loin des Danton, Robespierre, Lamartine ou Ledru-Rollin que leur verve séduisait.
Jupiter est mort au Puits en Velay à la façon de Louis XVI en fuite. Mais là le Président réagit. Il invente le Grand débat, national svp ! Il reprend la parole, seul, pas contre tous, mais en face, invoquant les élus de terrain, les Maires, les seuls représentants de la démocratie qui ne sont pas haïs par les gilets jaunes. Il connaissait l’histoire de France, avec le Grand débat il en a découvert la géographie. L’opinion voit alors la violence, et non plus la colère qui légitimait la révolte. Le Président dé-légitime la violence des gilets, en n’apparaissant plus, de surcroît, comme un tribun suffisant. Il fait face à l’ochlocratie (1), au pouvoir de la foule.
L’homme est doté d’une intelligence qui le fait comparer à cet autre Président que fut Giscard d’Estaing, lequel éclaircissait, convainquait, démontrait, enseignait, et dont l’intelligence émettrice différait de l’intelligence réceptrice du Président Macron, qui écoute, note, retient et fait son miel des alluvions avant de déboucher sur l’estuaire des décisions. Son retour fait penser à Adolphe Thiers, qui revient en 1870 après avoir été premier ministre de Louis-Philippe, pour installer et conforter la République. Au prix de massacres commis sur les communards, au sacrifice desquels la République lui doit d’avoir échappé au joug de Lénine.
Notre Président est entouré de fidèles. Comment serait-ce possible autrement ? Il est soutenu, comme le fut Périclès, par son Aspasie à lui, dont l’ascendant confine avec le rôle de conseillère politique.
Les gilets jaunes maintiendront-ils leur célébrité ? Ne se fâneront-ils pas comme notre sapin ? Reconnaîtront-ils la nécessité d’inclure ce qui leur a manqué pour atteindre leur but : des débats de fond, un ou deux cerveaux et moins de polémiques.
L’opinion elle-même doit à son tour admettre que la manière de négocier a changé. Exit la diplomatie inaugurée en 1815 au congrès de Vienne, où l’on se parlait tout le temps, même pendant la guerre. Aujourd’hui on s’agresse d’abord, verbalement, avant d’entamer la négociation pour laquelle on s’est renforcé. On fait du Trump, qui injurie le Président de la Corée du Nord avant de le rencontrer et déclarer au monde qui veut bien l’entendre que le Coréen est devenu son meilleur ami ! Trump est un businessman. Il attaque un concurrent, signe un accord, puis le trahit. Exit les règles d’antan, la parole donnée, les petits pas, c’est fini. C’est le monde présent. Erdogan, Poutine, sont plus puissants que ceux qui cherchent à parler à l’ancienne et entretiennent une entente policée (ONU).
Face à tous ces bouleversements, face aux violences, aux menaces terroristes, à l’immoralité de certains dirigeants, l’Europe doit travailler à son union, à la mise en place d’une Défense Européenne, d’une diplomatie univoque. Sans cela, j’ai la conviction que demain le monde va s’écrouler.
Nous sommes prisonniers des crises économiques, sociales, d’où la défiance à l’égard de toutes les autorités, les politiques, les profs, les curés... On ne croit plus en personne, on ne croit qu’en son assiette, à son compte en banque, à son plein d’essence. La crise de la défiance est une crise de la pensée.
Les réseaux sociaux ont permis aux manipulateurs de diffuser des mensonges, des invectives, des menaces. C’est ce populisme d’un nouvel âge, sorte de Lumpen intelligentsia dont Marx s'est éloigné en se refusant à faire du peuple-objet de l’histoire la réponse à ses propres questions, c'est ce populisme qui déclare « je suis le peuple » et si vous n’êtes pas avec moi vous n’êtes pas le peuple donc vous en êtes l’oppresseur et moi « je suis la vérité ». Seuls, à ma connaissance, Jésus et Lacan —excusez du peu— avaient déclaré cela. Si vous n’êtes pas d’accord, vous êtes le fake.
Combien nous faudra-t-il d’humour, d’auto-dérision, et de patience pour endiguer ce tsunami qu’on n’avait pas prévu. Le populisme, ce problème qui se prend pour la solution, est efficace dans l’immédiat, la démonstration de son impéritie doit être patiente pour être efficace dans le long terme.
Gérard LEROY, le 20 décembre 2019
- L’ochlocratie est un terme du vocabulaire de philosophie politique, tombé en désuétude, qui désigne un gouvernement influencé non par le peuple, mais par la foule qui a le pouvoir d'imposer sa volonté.