Pour Aurélie Lebouc, en hommage amical

   Il a été salué comme le “Père de la théologie protestante moderne”. Il faut reconnaître en effet que l’influence de Friedrich Schleiermacher s’est étendue à la pédagogie, à la philologie et à l’herméneutique. Cet homme aura été une grande figure du XIXe siècle allemand.

De sa famille, au sein de laquelle on trouve un père aumônier militaire, une mère calviniste, et de sa formation enfin, il gardera toujours l’empreinte d’un piétisme fervent.

Prédicateur à Berlin il approche le romantisme allemand et le milieu piétiste auquel appartenait Kant. Il est interpellé par ce mouvement qui le marquera.

Les écrits de Schleiemacher dissertent sur l’éthique, en référence à Spinoza et à Leibniz, et en débat avec Kant, en opposition à Hegel. Le caractère scientifique accentué de ses travaux philosophiques et théologiques lui sert toujours à les rapporter au besoin religieux. Son ouvrage le plus important, qui sortira en 1822, s’intitulera Présentation synthétique d’après les principes de l’Église évangélique. Sa conception de la théologie se démarque nettement du courant rationaliste des Lumières. Schleiermacher tente de montrer que le christianisme est d’abord une réalité socio-culturelle. Il ne sera pas isolé ! L’intérêt que peut présenter le christianisme peut dès lors être présenté sans faire valoir la vérité à laquelle il se rattache. La doctrine chrétienne, selon Schleiermacher, n’est pas tant un corps de vérités reçues de Dieu que la perception par les hommes de cette vérité, en fonction de ce qu’ils sont. 

Schleiermacher tend au relativisme, dont se rapprochera Georg Gadamer, philosophe allemand  mort en 2002. Mais en regard de l’approche exclusive de Schleiermacher Gadamer concède à la vérité une part irréductible d’objectivité, même si la vérité n’est pas indépendante de sa réception, de sa compréhension et de son interprétation. 

Claude Geffré, attaché au travail herméneutique de la théologie, estime qu’une présentation de la foi doit forcément tenir compte de cette perception de la vérité. Dieu n’envoie pas sur terre des vérités gravées dans le marbre ; s’il y a bien une objectivité de la révélation, cette objectivité passe au travers des prismes divers. 

Pour Schleiermacher le christianisme s’apparente alors à la communauté religieuse par excellence, et pour tout dire à la religion. 

Nourri de ces convictions Schleiermacher a cultivé le souci  permanent de permettre à ses contemporains l’accès authentique à la religion chrétienne. Dans ses Discours il fonde la religion sur le sentiment, l’intuition, comme “sens et goût pour l’infini”, indépendante de tout dogme. L’action doit trouver sa source et ne procéder que du cœur intime. En somme, il réduit la foi à son aspect de subjectivité et de sentimentalisme religieux, la foi étant la communion à l’univers de la totalité qui nous dépasse. En son essence la foi n’est “ni pensée, ni action, mais contemplation et sentiment”. La religion “est le sentiment d’absolue dépendance et nous nommons Dieu l’être dont nous dépendons ainsi”. Il ne s’agit pas de croire mais de s’attacher. Auguste Sabatier, professeur à la faculté protestante de Strasbourg, ira dans le même sens : “La foi, qui est émotion religieuse, qui est sentiment, se transpose dans l’esprit en une notion intellectuelle qui en devient la représentation.” Sabatier écrit dans le climat du scientisme de Littré, Berthelot, Comte, et tout le matérialisme positiviste de son temps.

La foi siège ainsi dans la sensibilité, dans une sorte d’élan qui porte vers l’infini.

On perçoit là l’immanence de l’infini dans le fini, permettant de toucher le divin, d’en donner une conscience immédiate. De sorte que la spécificité de Jésus tient tout entière à l’éminence de la conscience de Dieu. À celui qui accepte de suivre la voie religieuse que Jésus a ouverte, Jésus révèle comment et pourquoi l’essence humaine se réalise dans cette unité avec Dieu que la religion a pour tâche de servir.

Schleiermacher craignant de voir la théologie se couper de la culture contemporaine, invitait à revenir à la Réforme, à son principe qui respecte la foi qui sauve et la science qui éclaire. C’est dans cette direction, pensait-il, que le protestantisme doit marcher.

La direction qu’empruntera l’autre grand théologien protestant Karl Barth sera toute différente.

 

Gérard LEROY, le 22 janvier 2016